Dialogue n° 11
sommaire
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La maladie d'Alzheimer : la démence la plus fréquente des pays développés
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En un siècle, l'espérance de vie a augmenté de 25 ans (en 1997, elle était de 74 ans pour les hommes et de 82 ans pour les femmes).
Ce vieillissement de la population s'est accompagné d'un accroissement des maladies liées à l'âge, au premier rang desquelles figurent les démences qui, en France, touchent enbre 300 000 et 600 000 personnes tous les ans (cf. Tableau général des démences autres qu' Alzheimer).
Les démences de type Alzheimer représentent 75 % du total.

Elles frappent 5 % de la population de plus de 65 ans, 25 % de celle de plus de 85 ans et constituent la cause majeure d'institutionnalisation. Le nombre de patients atteints serait de 220 000 à 350 000, avec 100 000 nouveaux cas recensés chaque année. Une fois reconnue, la maladie d' Alzheimer dure en moyenne 8 à 10 ans.

C' est pourquoi elle est devenue une véritable question de société, ainsi qu' un champ important de la recherche médicale des pays développés.

Si l'on ajoute que parvenir à reculer de 5 ans le début de la maladie permettrait d' en réduire la fréquence de 50 %, on comprend l' enjeu de santé publique que constituent les travaux des cliniciens et des chercheurs que Dialogue a rencontrés.



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En France, la maladie d'Alzheimer est encore sous-estimée : 1 patient sur 2 n'est pas reconnu et le diagnostic, lorsqu'il est fait, intervient souvent tardivement. Les premiers symptômes cognitifs sont encore largement considérés comme des signes de vieillissement normal.
En outre, ils surviennent fréquemment chez des patients atteints de multiples affections, que l'on juge à tort responsables de l'affaiblissement intellectuel.
Trois facteurs de risque doivent être pris en considération : l'âge, les antécédents familiaux de démence (qui multiplient par 3 ou 4 le risque de survenue d'une démence) liés surtout à la prédisposition génétique (les porteurs de l'allèle epsilon 4 du gène de l'Apo E ayant un risque 4 à 8 fois plus élevé de développer la maladie).
En revanche, un niveau d'éducation élevé paraît un facteur protecteur (cf. Les principaux résultats des études épidémiologiques sur les démences).

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Clinique de la maladie d'Alzheimer

Le syndrome amnésique est sévère, toujours précoce et reste au premier plan tout au long de l'évolution. Il résulte principalement de lésions des neurones de l'hippocampe, région de convergence des informations mémorisées et premier site de localisation de la maladie (les études volumétriques de l'hippocampe réalisées par résonance magnétique nucléaire chez des patients relativement peu atteints montrent déjà une atrophie de 25 %). Par la suite, l'extension des lésions se fait vers le néocortex et, plus précisément, vers les aires associatives, entraînant alors la perturbation des fonctions dites " instrumentales ". La fonction du cortex associatif étant d'identifier les informations véhiculées par les différentes modalités sensorielles pour donner un sens aux messages perçus, l'atteinte des aires corticales associatives laisse intactes toutes les fonctions élémentaires mais conduit à une déstructuration des référentiels sémantiques donc, à terme, à la démence.

La maladie d'Alzheimer, résume Bruno Dubois, " est donc une démence qui débute par un syndrome amnésique, corrélé aux lésions intéressant les structures temporales internes, notamment l'hippocampe. Les lésions s'étendant par la suite aux aires associatives du néo-cortex, le tableau clinique s'enrichit de nouveaux troubles conduisant du stade de syndrome amnésique hippocampique simple à la déstructuration de tous les savoirs (troubles du langage, troubles de l'analyse des messages visuels, troubles de la reconnaissance, troubles du raisonnement, désorientation temporo-spatiale) et à la démence. "

D'un point de vue psychiatrique, les symptômes de la maladie d'Alzheimer sont, outre les troubles de la mémoire, des troubles du comportement (agitation, délire, hallucinations, apathie, irritabilité, impulsivité, ... ), liés aux troubles des fonctions cognitives supérieures (FCS). Les FCS se définissent par trois niveaux de capacités de contrôle des connaissances : l'interaction avec l'environnement, le contrôle des automatismes et l'appréciation de ses propres capacités (métacognitisme).
Selon Philippe Robert, " l'atteinte de l'un de ces niveaux a toujours des répercussions sur le comportement, ce dernier traduisant la relation du sujet à son environnement. C'est pourquoi, aujourd'hui, l'approche psychiatrique de la démence consiste à mettre en relation des mécanismes cérébraux avec des comportements. "

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Les lésions de la maladie d'Alzheimer

" L'autopsie fait apparaître une atrophie du cerveau, une perte neuronale prédominant dans la corne d' Ammon et touchant aussi certains neurones cholinergiques et deux lésions majeures, à savoir les plaques séniles et la dégénérescence neurofibrillaire ", explique Françoise Forette . Les plaques séniles, caractérisées par des dépôts extracellulaires de peptide AB (identifié par Glenner et Wrong en 1984) dans le tissu nerveux, sont des lésions extraneuronales faites d'amas de protéine amyloïde entourée de débris cellulaires. Cette protéine est issue de la scission anormale d'un précurseur, l'APP (Amyloid précursor protein), protéine normale de l'organisme. La dégénérescence neurofibrillaire, en revanche, est intraneuronale. Elles est caractérisée par des filaments disposés en paires hélicoïdales dont le composant antigénique principal est la protéine tau. Son développement engendre progressivement la mort neuronale et la désorganisation du tissu nerveux. La chronologie d'apparition de ces deux types de lésions est encore discutée.

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Evolution récente des connaissances :

La maladie d'Alzheimer a été décrite en 1907 par le psychiatre allemand Aloïs Alzheimer, qui mit en évidence ses deux caractéristiques, la présence de plaques séniles et les dégénérescences neurofibrillaires. En 1968, les premières études anglaises, réalisées par Tomlison et Roth, corroborèrent ces observations en montrant que les personnes âgées atteintes de détériorations intellectuelles progressives étaient porteuses de deux types de lésions : soit les lésions dégénératives décrites par Alzheimer, soit des lésions vasculaires, séquelles d'accidents vasculaires cérébraux répétés.

Aujourd'hui, le cadre épidémiologique général des démences dégénératives s' est précisé et l'on sait que c'est le siège des lésions, plutôt que leur nature, qui détermine les symptômes.
En effet, précise Annick Alpérovitch, " la distinction classique entre maladie d' Alzheimer et détériorations cognitives d'origine vasculaire apparaît de moins en moins pertinente du point de vue opératoire et il semble que des facteurs de risque vasculaire jouent également un rôle dans les démences de type Alzheimer. "
Plusieurs travaux récents, en particulier l'étude de Rotterdam, ont en effet mis en évidence le rôle important de facteurs vasculaires dans le développement non seulement des démences vasculaires mais aussi des démences de type Alzheimer. L'étude Syst-Eur vient de démontrer que le traitement de l'hypertension systolique isolée du sujet de plus de 60 ans réduisait l'incidence des démences de façon manifeste : de 7,7 à 3,8 cas pour 1 000 patients-années, soit 50 % (p<0.05) en intention de traiter et de 60 % (p<0.03) en analyse per-protocole. Cette réduction concernait aussi bien les démences de type Alzheimer que les démences vasculaires ou mixtes.
Le mécanisme de la prévention des démences reste cependant spéculatif.
Si l'on considère les résultats négatifs d'une autre étude (SHEP), menée avec des diurétiques, l'hypothèse peut être proposée que les inhibiteurs calciques (nitrendipine) utilisés dans l'étude Syst-Eur en première intention n'aient pas influencé seulement la pression artérielle mais aient eu aussi un rôle de neuroprotection.
Quoiqu'il en soit, la réduction de moitié des démences, de 40 % des accidents vasculaires cérébraux et de 30 % des complications cardiovasculaires démontrée par l'étude Syst-Eur constitue de forts arguments pour traiter systématiquement l'hypertension du sujet âgé.
Les facteurs vasculaires pourraient donc influencer le risque de maladie d' Alzheimer, soit en interférant avec le mécanisme physiopathologique de la maladie soit, plus probablement, en étant responsable de lésions cérébrales cliniques ou infraclinique qui, s' ajoutant à celles de la démence de type Alzheimer, pourraient accélérer le processus de détérioration des fonctions cognitives.
Les chercheurs font donc aujourd'hui l'hypothèse selon laquelle dans la majorité des démences, les deux types de processus, dégénératif et vasculaire, existent à des degrés divers.

Du point de vue de la connaissance des mécanismes de la maladie, on sait que la cause de la pathologie est liée à la protéine APP et à son peptide AB et que c'est la dégénérescence neurofibrillaire qui est davantage liée à l'expression clinique de la maladie. Cependant, on ne sait pas quelle est la ou quelles sont les cellule(s) qui produit(sent) le peptide AB et le transforme(nt) en substance amyloïde (neuronale, gliale, endothéliale, musculaire lisse des vaisseaux cérébraux ?). L'action du peptide AB pourrait être intracellulaire.
Frédéric Checler------------------------André Delacourte
Deux hypothèses sont actuellement défendues pour expliquer la relation entre les deux processus de la maladie décrits par Alzheimer, les plaques amyloïdes et la dégénérescence neurofibrillaire : pour Frédéric Chécler, " les dépôts amyloïdes sont à l'origine de la maladie, et il existe une corrélation entre la surproduction de peptide AB et le processus dégénératif ", pour André Delacourte, au contraire, " les dépôts amyloïdes ne sont que des marqueurs précoces de la maladie. La dégénérescence neurofibrillaire, c'est-à-dire l'accumulation de protéine tau pathologique, résulte, dans certains cas seulement, du dysfonctionnement de la protéine APP précurseur du peptide AB ; au contraire de ce peptide, la protéine tau pourrait être directement impliquée dans les mécanismes de dégénérescence neuronale. "

L'hypothèse amyloïde est controversée car l'accumulation de peptide AB est observée bien avant l'apparition de la démence, mais ses défenseurs répliquent que, dans la mesure où la surproduction de peptide AB est un événement précoce, il n'est pas surprenant de ne pas trouver de corrélation directe entre la quantité d'AB et la démence.
On sait que le peptide AB est constitué de 40 à 42 aminoacides. Ce serait l'augmentation de concentration de la forme 42, laquelle possède des propriétés d'agrégation très exacerbées par rapport à la forme 40, qui serait responsable des premiers dépôts diffus du peptide dans le cerveau. Les plaques séniles se constitueraient à partir de ces dépôts de peptide AB. Celui-ci est porté par un précurseur constitué de 695-770 aminoacides, l'APP présent dans le cerveau sain.
Dans les conditions physiologiques, une enzyme, l'a-sécrétase, coupe l'APP au milieu de la séquence AB, ce qui prévient la formation de peptide AB. D'autre part, l'action de l'u-sécrétase conduit à la libération d'un fragment de l'APP appelé APP-a, qui présente des propriétés neuroprotectrices et cytotrophiques.
Dans les cas pathologiques, deux autres enzymes, la B-sécrétase et la Y-sécrétase, hydrolysent l' APP, et leur attaque combinée libère le peptide AB.

Le dérèglement de l'équilibre entre ces diverses sécrétases conduit à la surproduction de peptides AB et aux plaques séniles. Celles-ci agissent comme des courts-circuits toxiques perturbant la fonction normale du système nerveux.

En outre, l'analyse des mutations qui peuvent être à l'origine de la maladie montre que les protéines mutées conduisent toutes à des formes agressives de la maladie. Elles sont toutes associées à une surproduction du peptide AB. Celui-ci, même s'il n'est pas la cause première du dérèglement moléculaire intervenant dans la maladie d'Alzheimer, peut donc vraisemblablement être considéré comme le dénominateur commun à toutes ses formes.

Depuis cinq ans, on assiste à un développement important des connaissances génétiques. Dans 5 % des cas, la maladie d'Alzheimer est familiale et de transmission autosomique dominante (début précoce, autour de 50 ans).
Trois types de mutations génétiques ont été identifiés : le premier, découvert par Hardy, concerne le gène de l'APP situé sur le chromosome 21. Dans les formes familiales précoces, cette mutation entraîne le dysmétabolisme de AB et une cascade de lésions. Plusieurs mutations touchant l'APP ont été identifiées. Ainsi, la mutation dite " suédoise " (localisée à côté du site de coupure de la B-sécrétase) augmente la production de peptides AB (essentiellement I'AB 40). La mutation " London ", localisée à côté du site Y-sécrétase, accélère particulièrement la production de protéines AB 42.
C'est en 1995 qu'ont été identifiées les protéines responsables de la plupart des formes familiales précoces. Il s'agit de la préséniline 1 (codée par le chromosome 14) et de la préséniline 2 (codée par le chromosome 1). Là encore, ces protéines, lorsqu'elles portent les mutations associées à des formes précoces de la maladie, favorisent la production pathogène de AB 42.

Chez les patients atteints de formes sporadiques de la maladie (apparition vers 60 ans), Allan Roses a mis en évidence un gène de prédisposition : la surreprésentation de l'allèle epsilon 4 de l'apolipoprotéine E (qui code l'Apo E4).
L'Apo E est une protéine normale de l'organisme, porteuse du cholestérol, qui joue un rôle trophique pour le cerveau. Elle est codée par trois allèles, epsilon 2 (pour 7 % de la population), 3 (pour 77 % de la population) et 4 (pour 16 % de la population) ; la fréquence de ces allèles dans la population générale est stable. L'allèle epsilon 4 est observé dans 45 à 50 % des cas chez les patients atteints de maladie d'Alzheimer ; sa présence augmente donc le risque de survenue de la maladie sans pourtant la causer systématiquement ; tous les patients atteints de la maladie d'Alzheimer ne sont pas porteurs de l'allèle epsilon 4 et tous les porteurs de cette allèle ne sont pas atteints.
Il s'agit donc d'un gène de prédisposition qui pourra permettre d'identifier les sujets à risque. le mécanisme de son action n'est pas entièrement élucidé : l'Apo E4 rendrait neurotoxique l'AB en formant un complexe avec lui. En revanche, l'Apo E2 pourrait être protectrice.

L'hypothèse de la protéine tau (cf. Les protéines tau) s'appuie sur le fait que l'agrégation de protéines tau pathologiques forme le constituant principal des dégénérescences neurofibrillaires qui s'accumulent dans les neurones affectés au cours de la maladie d'Alzheimer. Leur apparition dans le cortex associatif est toujours liée à une démence. L'agrégation des protéines tau n'est pas spécifique de la maladie d'Alzheimer. Elle est trouvée dans une vingtaine d'autres maladies démentielles (comme la paralysie supranucléaire progressive, la maladie de Pick ou la dégénérescence fronto-temporale avec syndrome parkinsonien liée au chromosome 17).
Une étude menée par l'unité 422 sur 130 cerveaux, dont 60 témoins, portant sur l'analyse des deux types de lésions de la maladie d'Alzheimer montre qu'au début de la maladie les lésions apparaissent dans de nombreuses régions cérébrales sans provoquer de manifestations cliniques importantes. De nombreux cerveaux de témoins âgés correspondent, en fait, à un stade infraclinique de la maladie d'Alzheimer. Ce stade peut se prolonger très longtemps puisque quelques cerveaux de " presque centenaires " sont relativement épargnés par les lésions de type Alzheimer.

Les anomalies de la protéine tau font le lien entre lésions cérébrales et manifestations cliniques. Au cours du vieillissement normal (100 % des cas à partir de 75 ans), comme au cours de la maladie d'Alzheimer, la protéine tau s'agrège dans l'hippocampe, dont le rôle dans la mémoire a déjà été rappelé. L'équipe de l'unité 422 a décrit dix stades d'évolution de la maladie, correspondant à l'extension dans dix régions du cerveau progressivement touchées : le processus débute dans l'hippocampe et se développe progressivement jusqu'à ce qu'il concerne l'ensemble des régions corticales.
On sait donc aujourd'hui que les voies de progression des anomalies de la protéine tau sont les mêmes que celles des lésions neuronales qui conditionnent les stades de la maladie décrits par Bruno Dubois.
Jusqu'au stade 6 (atteinte de la région temporale moyenne), la dégénérescence peut être relativement bien tolérée. Le stade 7, à partir duquel toutes les régions du cortex associatif sont atteintes, est le seuil d'expression de la démence d'Alzheimer.
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Diagnostic :


Le problème est compliqué car il faut distinguer les maladies débutantes des conséquences de ce qu'il est convenu d'appeler le " vieillissement cérébral normal ", comme le signalait Françoise Forette.
D'autre, part, il n'existe pas de marqueur non invasif de la maladie. Le diagnostic de certitude ne peut donc s'effectuer du vivant du patient (pour des raisons éthiques, l'indication d'une biopsie cérébrale reste exceptionnelle).
Un examen neuropathologique du tissu cérébral prélevé post-mortem est donc nécessaire pour vérifier la présence des plaques séniles et de la dégénérescence neurofibrillaire. Ce contexte pèse d'autant plus sur les approches diagnostiques et thérapeutiques que les autopsies ne sont plus une pratique courante en France (sur 80 000 décès par an dus à la maladie d'Alzheimer, seules 200 à 300 autopsies sont effectuées ; contrairement à ce qui se passe aux États-Unis, le diagnostic clinique n'est donc presque jamais vérifié).
La mise au point de critères diagnostiques, biologiques ou cliniques, précoces, spécifiques et sensibles constitue donc aujourd'hui l'un des objectifs prioritaires de la recherche.

Les symptômes cliniques de la maladie d' Alzheimer sont :
une détérioration intellectuelle progressive se traduisant par des troubles de la mémoire (des faits récents puis anciens) associés à des perturbations d'autres aires cognitives : apraxie, agnosie, aphasie, troubles des fonctions exécutives, du jugement, des mécanismes opératoires, etc. Ces signes ont un retentissement sur la vie professionnelle et quotidienne qui fait porter le diiagnotic de démence et aboutit à la perte totale de l'autonomie. Ils sont répertoriés dans les codifications internationales des critères de démence (DSM IV, NICDS-ADRDA, ICD 10). Le diagnostic de la maladie d'Alzheimer est établi sur la base de l'apparition et de l'évolution progressive de ces troubles, toute autre cause étant écartée. Pour cela, l'examen clinique et un certain nombre d'examens complémentaires, permettent d'éliminer d'autres diagnostics (essentiellement dépression et confusion, mais aussi anomalies thyroïdiennes, syphilis, infection par le VIH, carences en acide folique ou vitamine B 12).

Jean-Claude Baron----------Cependant, le recours aux techniques d'imagerie (cf. Une panoplie de techniques d'imagerie), tout particulièrement à l'imagerie anatomique, joue un rôle prédictif de plus en plus important.
Leur amélioration permanente fait espérer qu'elles puissent jouer le rôle de marqueur diagnostique et évolutif.
Ainsi, le repérage de l'atrophie de l'hippocampe permet-il déjà parfois de confirmer la suspicion clinique.
L'imagerie métabolique peut également dépister les anomalies cellulaires à des stades précoces et donc faire prévoir l'évolution démentielle.
Enfin, la reconnaissance de différents profils d'anomalies métaboliques facilite le diagnostic d'autres démences ou pseudo-démences (dues à des tumeurs, à des hydrocéphalies, des hématomes sous-duraux, des maladies vasculaires, ... ).
D'un point de vue physiopathologique, l'imagerie fonctionnelle est également utilisée pour l'étude pré-symptomatique de régions cibles. Elle permet de détecter une atrophie cortico-sous-corticale non spécifique, ou l'atrophie plus spécifique du lobe temporal, de l'amygdale ou de l'hippocampe.
Dans cette logique, il est possible de localiser les régions responsables de chaque type de trouble clinique et de parvenir à un faisceau d'arguments rendant le diagnostic de maladie d'Alzheimer fiable à 90 %,

En outre, dans la mesure où les anomalies du fonctionnement cognitif , même frustres, sont hautement prédictives du développement de la maladie, l'approche neuropsychologique autorise aujourd'hui un diagnostic de plus en plus précoce.
En France, plusieurs centres de la Mémoire (ou collaborent gériatres, neurologues, neuropsychologues, psychiatres, psychologues, orthophonistes) ont pour vocation de procéder à une évaluation diagnostique approfondie.
Dans celui de Nice, par exemple, la première évaluation se fait lors d'une demi-journée en hôpital de jour, pendant laquelle le patient rencontre un médecin clinicien, un neuropsychiatre et un orthophoniste. Le médecin effectue un examen clinique classique à partir d'un entretien standard prenant en compte les antécédents. Afin d'évaluer les troubles du comportement, le neuropsychiatre a souvent recours aux accompagnants (le sujet n'ayant pas toujours conscience de ses troubIes), ainsi qu'à une batterie de tests psychométriques des fonctions cognitives globales (le mini mental test est le plus couramment utilisé) et de leurs diverses composantes (fonctions mnésiques, processus attentionnel, praxies, gnosies, fonctions d'initiation - capacité à initier spontanément une fonction cognitive). Un bilan orthophonique et linguistique complète le diagnostic. Les résultats sont évalués en fonction de normes liées à l'âge, au sexe et au niveau d'éducation.

Enfin, des approches diagnostiques différentes peuvent être attendues des indications disponibles sur l'histoire naturelle et moléculaire de la maladie.
Dans l'hypothèse amyloïde, la recherche prédictive s'oriente vers le développement d'anticorps capables de reconnaître les formes 40 et 42 du peptide AB et de les doser dans le liquide céphoIo-rachidien. Marqueurs du stade de la maladie, les protéines tau anormales (dont certains sites de phosphorylation pourraient être plus spécifiques de la maladie d'Alzheimer) offrent également des perspectives diagnostiques : elles sont libérées dans le domaine extracellulaire par les neurones en dégénérescence et leur présence dans les liquides périphériques permettrait, si cela était confirmé, un diagnostic précoce.

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Traitements :

Les lésions des neurones cholinergiques qui innervent le cortex cérébral et le déficit en acétylcholine constaté au cours de la maladie d'Alzheimer orientent les voies médicamenteuses vers la restauration du pool d'acétylcholine disponible au niveau du cerveau. Les seuls produits cholinergiques qui sont allés au terme de leur développement sont les inhibiteurs de l'acétylcholinestérase capables d'empêcher le catabolisme du neurotransmetteur.

Depuis trois ans, trois substances anti-cholinestérasiques ont obtenu l'autorisation de mise sur le marché (AMM) : la Tacrine (COGNEX(R)), le Donepezil (ARISEPT(R)), la Rivastigmine (EXFLON(R)).
Ces médicament ont tous des effets secondaires de type cholinergique, notamment des troubles gastro intestinaux.
La Tacrine, qui a obtenu l'AMM en 1994, améliore les trois critères d'évaluation : les fonctions cognitives, les activités de la vie quotidienne, le jugement global du médecin sur le patient. Son effet secondaire majeur est une toxicité hépatique importante traduite, dans 50 % des cas, par une augmentation des transaminases, qui est cependant toujours réversible et n'engendre jamais d'hépatite toxique mortelle. En outre, on note des effets cholinergiques gastro-intestinaux (nausées et vomissements). Il s'agit d'un médicament efficace dans les maladies d'Alzheimer légères à modérées, mais difficile à prescrire aux personnes âgées, car il doit être administré en quatre prises surveillées par un proche. En raison de la toxicité hépatique, il a d'abord fait l'objet d'une réserve hospitalière et n'était distribué que par la Pharmacie centrale des hôpitaux. Sa dispensation est maintenant identique à celle des autres produits de sa classe.
Le deuxième inhibiteur, le Donepezil, mis sur le marché en février 1998, apporte deux types d'améliorations : l'absence de toxicité hépatique et la prise une seule fois par jour.
Enfin, la troisième molécule, la Rivastigmine, mise sur le marché depuis septembre 1998, n'a pas de toxicité hépatique. Elle est administrée deux fois par jour. La zone d'efficacité de ces deux produits est identique à celle de la Tacrine, de même que les effets secondaires gastro-intestinaux (qui sont dose-dépendants). Leur action symptomatique tend à s'épuiser avec le temps. Ils n'arrêtent pas l'évolution clinique mais le maintien d'une cholinergie normale pourrait ralentir la progression des lésions. Chez les patients traités de façon prolongée par la Tacrine aux doses maximales, on a pu observer un retard à l'institutionnalisation de près de deux ans.

Même s'ils ne sont efficaces qu'aux stades précoces et modérés de la maladie, et cela de façon modeste, et que leur action soit purement symptomatique, ces produits représentent un progrès important dans la prise en charge et le confort de vie des patients et de leur famille.

D'un point de vue psychiatrique et neuropsychologique, la démarche thérapeutique consiste, après avoir soulagé les symptômes (notamment par le traitement des troubles du comportement et celui de multiples affections associées susceptibles d'aggraver la démence) à mettre en place des programmes d'activation cognitive et d'entraînement de la mémoire visant à prévenir l'évolution vers la démence ou son aggravation en faisant utiliser au sujet le maximum de ses capacités disponibles.
La relation avec les familles est également extrêmement importante : l'information qui leur est fournie sur la maladie contribue à mieux la faire accepter et à soulager leur souffrance en leur offrant un espace d'expression. Cette interaction avec les familles peut donc faire évoluer les relations entre le patient et son environnement. A ce titre, elle a une réelle dimension thérapeutique. Ces aspects relationnels sont tout à fait complémentaires de l'approche pharmacologique.

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Les voies de recherche thérapeutiques

Les alternatives substitutives aux produits cholinergiques
Les lésions biochimiques de la maladie d'Alzheimer ne sont pas limitées au système cholinergique. D'autres systèmes sont atteints et l'on ne peut attendre un plein effet de la substitution par les seuls produits cholinergiques.
Il faut donc évaluer les possibilités d'associations de neurotransmetteurs, dont l'action pourrait se compléter ou se potentialiser, même si ces pistes ne suscitent pas, pour l'instant, l'espoir de la guérison.

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Les thérapeutiques d'avenir
Elles reposent sur une approche plus étiologique.

- Action sur le processus inflammatoire et immunitaire

Plusieurs observations font évoquer une hyperactivité immunitaire dans la plaque sénile et des études ont montré une relation inverse entre la survenue de la détérioration cognitive et la prise d'anti-inflammatoires.
De nouveaux médicaments de cette classe, inhibiteurs de la COX 2, mieux tolérés, devraient permettre d'explorer cette piste. La propentofylline, par son action sur la microglie et les astrocytes, pourrait agir aussi par ce mécanisme.


- Action neuroprotectrice par les inhibiteurs calciques

L'effet limité dans le temps des traitements substitutifs s'explique par la progression, jusqu'ici inexorable, de la mort neuronale. Les inhibiteurs calciques pourraient jouer un rôle neuroprotecteur en s'opposant à l'influx intracellulaire de calcium responsable de la mort neuronale.


- Action par les facteurs de croissance nerveuse

On connaît depuis longtemps le rôle trophique du Nerve growth factor (NGF) sur les neurones et, plus particulièrement, sur les neurones cholinergiques. Il n'est pas certain que cette approche soit aussi facile qu'il l'a été espéré, en raison de doutes sur l'efficacité, d'une possible toxicité à long terme et de difficultés d'administration. Le NGF ne traversant pas la barrière hémato-encéphalique, l'équipe suédoise qui a fait la première application à l'homme a utilisé une pompe intraventriculaire avec des résultats, pour l'instant, modestes.


- Action par des agents intervenant sur la protéine amyloïde

L'approche thérapeutique logique est d'intervenir sur la production, le dépôt ou la neurotoxicité de la protéine amyloïde à un stade précoce de la maladie chez les sujets à risque.
Plusieurs voies sont possibles, parmi lesquelles :
l'inhibition des enzymes protéolytiques susceptibles de scinder de façon inappropriée ou trop importante le précurseur ;
l'inhibition de la neurotoxicité ;
la réduction de la synthèse du précurseur APP ;
l'inhibition de la réaction inflammatoire dans la plaque sénile ;
la prévention ou le ralentissement de la polymérisation des protéines solubles en fibrilles amyloïdes, ...
Dans cette logique, une approche thérapeutique utilisant des inhibiteurs de B et Y-sécrétases, ou des promoteurs de a-sécrétase, serait donc envisageable.
Par ailleurs, le rôle de l'Apo E4 sur la formation des plaques et des dégénérescences neurofibrillaires fait également l'objet d'hypothèses qui pourraient conduire à des pistes thérapeutiques. Si les effets de l'Apo E4 sur la promotion et la neurotoxicité du peptide AB, et la déstabilisation des microtubules étaient vérifiés, on peut imaginer des molécules qui reproduiraient ou renforceraient l'action de l'Apo E3 ou de l'Apo E2 chez les patients porteurs de l'allèle epsilon 4.


- Action par des agents intervenant sur l'agrégation de la protéine tau

Pour lutter contre les anomalies des protéines tau, les perspectives thérapeutiques consistent à identifier les molécules neuroprotectrices capables de ralentir la dynamique d'agrégation de ces protéines, qui constituent donc une cible thérapeutique.


- Action des oestrogènes et de leur effet sur la régulation du métabolisme de l'APP

L'hypothèse d'un effet favorable des oestrogènes est fondée sur trois observations : l'effet bénéfique des oestrogènes sur la mémoire de femmes ménopausées ou âgées, le risque accru de maladie d'Alzheimer chez les femmes carencées en oestrogènes, la plus grande réponse aux traitements cholinergiques de la part des femmes recevant un traitement substitutif oestrogénique.
L'étude de Kawas, longitudinale mais non randomisée, a montré l'incidence inférieure de la démence de type Alzheimer chez les femmes soumises au traitement substitutif.
De grands essais randomisés (Women health initiative) sont en cours pour vérifier ces travaux.
Certaines recherches suggèrent que les oestrogènes pourraient réguler le métabolisme de l'APP en favorisant les voies non-amyloïdogènes et en s'opposant à l'action des radicaux libres.


- Action contre le stress oxydatif par des traitements anti-radicalaires

Il est reconnu que le cerveau est particulièrement vulnérable au stress oxydatif, ce qui suggère une protection possible par les antioxydants.
L'étude de Sano utilisant la vitamine E et/ou la Selegiline a démontré le retard à l'apparition de critères de progression de la maladie (perte d'activités de la vie quotidienne, démence sévère, institutionnalisation ou décès).


- Action par la prise en charge des facteurs vasculaires

L'idée que les facteurs vasculaires pourraient influencer le risque de démence de type Alzheimer, est à l'origine de l'étude 3C qui associe actuellement de nombreuses équipes INSERM (unités INSERM 258, 330, 360, 498, CIF 9702, Registre INSERM-DGS des accidents vasculaires cérébraux).
L'étude 3C a commencé au début 1999 avec le soutien de la Fondation pour la recherche médicale. Dix mille personnes de 65 ans et plus sont recrutées à Bordeaux, Dijon et Montpellier et suivies pendant 4 ans. L'objectif principal est d'évaluer le rôle des facteurs de risque vasculaire dans la démence. Si le rôle des facteurs vasculaires s'avère important, on pourrait envisager des stratégies de prévention qui, en retardant seulement d'un an ou deux la survenue d'une détérioration cognitive sévère, auraient des conséquences majeures sur le coût social et économique de la maladie.

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Conclusion

Aucune hypothèse physiopathologique et génétique de la maladie d' Alzheimer n'est exclusive des autres.
Les approches thérapeutiques qui en résultent sont donc complémentaires. Un traitement préventif ou précoce chez des personnes à risque sera disponible dans un avenir relativement proche.
Toutes les approches préventives doivent être, certes, confirmées, mais certaines d'entre elles (oestrogènes, traitement anti-hypertenseur, par exemple), dont les effets dans d'autres domaines ont été prouvés par des essais randomisés, peuvent être appliquées dès maintenant chez les personnes à risque.

D'autre part, depuis l'arrivée des traitements substitutifs, la maladie d' Alzheimer peut être soulagée. Elle doit, à ce titre, être reconnue tôt, aux stades ces traitements peuvent être actifs.
Accompagner le patient et sa famille est aussi la charge des soignants, en attendant que soit prévenu ou ralenti plus efficacement ce fléau du XXe siècle.
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