2 ENJEU DES PREMIÈRES MINUTES


ECOUTER LA VICTIME

L’accueil est une urgence. La victime doit être reçue rapidement et dans le calme pour qu’elle puisse parler et être écoutée. La personne doit se sentir rassurée, en confiance afin de ne pas vivre sa prise en charge comme une nouvelle agression. Elle doit être reçue, de préférence, en tête à tête avec le médecin ou, à sa demande ou avec son consentement, en présence d’une tierce personne.

Le but de cet accueil est d’évaluer le degré d’urgence de l’examen et la nécessité ou non de transférer la personne vers un centre spécialisé.

La qualité de cet accueil est capitale pour la victime dans le sens d'une restauration ultérieure et pour les suites judiciaires.


INFORMER LA VICTIME

Si la victime est adressée sur réquisition, il faut lui expliquer le but de la réquisition, son importance et ses obligations légales, puis résumer la mission qui est confiée au médecin.

Si la victime se présente spontanément, on doit lui donner, dès le stade de l’accueil, les informations nécessaires pour un éventuel dépôt de plainte, voire l’orienter vers une structure spécialisée. Elle peut être aidée dans ses démarches par un proche, l’assistante sociale du secteur ou une association d’aide aux victimes.

Toute victime doit être informée de ses droits. Idéalement, tout centre d’accueil de victimes de violences sexuelles devrait disposer d’une documentation informant les victimes de leurs droits.


CAS DE L’ENFANT

Ne pas considérer l’enfant seulement dans sa situation d'enfant abusé : c’est avant tout un enfant.

Même si l’agression sexuelle fait encore peur, et que sa simple évocation risque de paralyser les professionnels, cet enfant souffre.

Il a besoin avant tout de quelque chose que chacun peut lui apporter : de l’empathie et de la chaleur humaine plutôt que de la technicité. Pour l'aider, il est aussi nécessaire de bien connaître les professionnels vers lesquels l'orienter.


3 CONDITIONS DE L’ACCUEIL

L'attente doit être la plus courte possible, dans un cadre respectant son intimité.

On utilise au mieux, une salle d’examen gynécologique adaptée avec un bon éclairage.
Dans ce même lieu tous les gestes pourront être réalisés : entretien, examen médical, photos éventuellement, prélèvements bactériologiques et médico-légaux, soins, conseils et recommandations sur le suivi ultérieur...

Les conditions optimales permettent à la personne de se laver à l’issue de l’examen et de s’habiller de linge propre.

L’agression sexuelle a été vécue dans l’effroi, avec un fort sentiment d’impuissance, sans capacité de réagir sous peine de mettre sa vie en danger. Elle est ressentie ensuite comme une expérience impensable, intransmissible et irréparable. La plupart des personnes agressées se taisent, incapables d’en parler.

Aussi, il faut beaucoup de courage à la victime pour surmonter ses sentiments de terreur, de culpabilité, d'incompréhension, de honte et d’isolement et oser faire ses démarches de plainte ou de demande de soins.

L'accueil des victimes de violences sexuelles est primordial, car il permet de réconforter, de rassurer des victimes choquées, traumatisées, de les informer et de les préparer à la prise en charge médicale en facilitant l’acceptation et le bon déroulement de l’examen clinique, mais il permet également de préparer la victime aux éventuelles suites tant sur un plan judiciaire et médical que psychologique et social.


4 APPRÉCIER L’URGENCE MÉDICALE OU JUDICIAIRE

Le simple entretien sur les circonstances de l'agression permet d’apprécier avec la victime l’urgence de la réalisation d’un examen médical.

Si les faits sont récents, datant de moins de 3 jours : c’est une urgence médico-légale.

° pour la constatation des lésions cliniques récentes avant cicatrisation.

°pour les prélèvements médicaux (biologie, toxiques...) et médico-légaux (empreintes génétiques, recherche de spermatozoïdes...).

° pour la mise en route d’une contraception d’urgence.

°pour la mise en route d’un traitement prophylactique (traitement antirétroviral, antibiothérapie).

L’état de la victime peut nécessiter des soins avec une éventuelle hospitalisation de courte durée. Les conditions du transfert vers la structure de soins sont organisées selon la situation. Un avis est sollicité auprès du médecin référent des accidents d’exposition (Circulaire DGS/DH/DRT/DSS n° 98/338 du 9/04/98, relative aux recommandations de la mise en oeuvre d’un traitement antirétroviral après exposition aux risques de transmission du VIH).

Il faudra conseiller de conserver les vêtements portés par la victime au moment de l’agression, bien insister pour que ni la victime ni ses vêtements ne soient lavés avant l’examen ; les vêtements devront être conservés dans du papier kraft. Les prélèvements corporels doivent être faits dans un délai maximum de 72 h après l’agression.
L'absence de médecin compétent ou la nécessité de soins vitaux peuvent amener à différer l'examen.

Si les faits sont plus anciens, datant de plus de 3 jours :

Il appartient au médecin d’apprécier le degré d’urgence de la prise en charge médicale et psychologique de la victime. Cependant pour des faits datant de trois à huit jours, il est judicieux d'organiser rapidement l'examen sans trop le différer. Ceci permet éventuellement de constater des lésions en cours de cicatrisation, le délai de celle-ci étant habituellement de cinq à huit jours.

En cas d’impossibilité de réaliser un examen médico-légal dans des conditions de compétence et notamment de matériel suffisant, il est préférable d’orienter la personne vers un centre hospitalier général de proximité.


5 QUALITÉ DE L’ENTRETIEN

LA VICTIME EST UN ENFANT

1 L’enfant révèle des faits récents.

Il a besoin d’être ÉCOUTÉ, pas interrogé. Le médecin n'est pas un enquêteur : que l’enfant évoque ou non des faits réellement vécus, s'il en parle c'est qu'il a besoin d'aide.

Il a besoin d’être RÉCONFORTÉ.

° L’agresseur est extérieur à la famille ; les parents ont aussi besoin d’aide et sont souvent trop choqués pour aider eux-mêmes leur enfant. Il faut chercher avec eux des relais.

° L’agresseur vit avec l’enfant ; celui-ci doit alors être PROTÉGÉ, le jour même s’il existe un risque de récidive au domicile.

2 L’enfant révèle des faits anciens.

Il a besoin d’être écouté au moment où il est prêt à parler. On peut le féliciter d’avoir réussi à le faire et l’encourager à parler.

3 L ’enfant est amené par un adulte de son entourage
qui allègue des révélations que l’enfant, souvent petit, lui aurait faites, dans un contexte, le plus souvent de conflit familial. Cette situation est la plus difficile, une évaluation pluridisciplinaire ne permet pas toujours d’y voir plus clair. Là encore le médecin n'a pas pour mission de chercher la vérité.

Il doit veiller à apporter de l’aide à un enfant peut-être réellement agressé, toujours potentiellement en danger dans ce type de situation. Il peut aussi apporter son aide à un adulte toujours en difficulté. Le médecin doit pouvoir proposer à l’adulte de parler avec lui en dehors de la présence de l’enfant. Rapidement le médecin doit introduire d’autres intervenants pour ne pas se retrouver inefficace, voire utilisé, manipulé (ces situations prenant parfois l’aspect d’un syndrome de Münchhausen par procuration). Il doit proposer de parler à l’enfant seul.

Le médecin doit :

° SAVOIR que l’abus sexuel peut être un motif invoqué pour obtenir la garde de l’enfant en cas de séparation du couple parental.
Le récit de l’enfant peut alors être « appris » ou « contaminé » par le parent revendicateur.

° SAVOIR AUSSI qu’un parent anxieux, inquiet, dans un contexte de séparation conflictuelle, sans possibilité de communication, peut en venir à interpréter des symptômes de l’enfant, témoins de sa propre souffrance (cauchemars, recherche de proximité corporelle, masturbation compulsive etc.) comme des indices d’un éventuel comportement incestueux.

Ces deux situations dans lesquelles l’enfant est toujours en danger, doivent impérativement faire l’objet d’une évaluation psychosociale approfondie.


Exemples de questions à poser non directives, ouvertes :

« je voudrais comprendre pourquoi tu fais à nouveau pipi au lit. »

« J’ai l’impression que quelque chose ne va pas à la maison, que quelqu’un te fait souffrir. »

« Ce que je constate sur ton corps me fait penser que quelqu’un ne se conduit pas bien avec toi. »

« C’est peut-être difficile pour toi d’en parler parce qu’on t’a peut-être dit que c’était un secret. »

« Peut-être t’a-t-on dit que quelqu’un pourrait mourir si tu révélais ce secret. »

« C’est peut-être difficile aussi pour toi d’en parler parce que par moments tu aimes beaucoup cette personne et à d’autres moments tu la détestes. »

« C’est peut-être quelqu’un que tu aimes beaucoup et c’est pour cela que c’estdifficile d’en parler. »

1. « L'enfant en danger » Editions Fleurus.

4 Un professionnel
évoque une agression sexuelle et requiert un avis médical : le médecin comme dans le cas précédent peut aider l’enfant. Rarement l’examen, mais on ne le sait pas d’avance, permettra de confirmer l’hypothèse. Le médecin doit inciter ce professionnel, s’il a été témoin ou confident direct de l’enfant, à adresser par écrit ce témoignage au procureur de la République.

LA VICTIME EST UN ADULTE

L’entretien permet de répertorier de la façon la plus précise possible les circonstances de l’agression de façon à guider l’examen clinique et les prélèvements. Il permet d’en évaluer le retentissement somatique et psychique. Il doit donc être conduit avec méthode. Il faut se présenter, se nommer pour permettre à la victime de restaurer une relation humaine. Cet entretien doit être pratiqué avec patience et respect pour ne pas constituer une nouvelle agression.


Ce qu’il ne faut pas faire

- Parler d’interrogatoire, mais de consultation ou d’entretien.

- Dire « se faire violer » mais être violé ou agressé.

- Mettre en doute ou corriger la parole de la victime. L’écoute dubitative constitue une nouvelle agression morale. Croire ce que l’autre vous dit, c’est reconnaître son existence.

- Conseiller l’oubli.

- Chercher à dédramatiser et banaliser.

Ce qu’il faut faire

- Reconnaître que la victime a subi un traumatisme réel et ainsi lui laisser exprimer son effroi et son bouleversement.

- Aider la victime à reprendre confiance dans son propre jugement et lui rappeler qu’elle sait ce dont elle a besoin : sur quel ami ou proche peut-elle compter pour la soutenir ?

- Verbaliser la contrainte qu’elle a subie pour l’aider à comprendre ses réactions.

- Permettre à l’entourage de la victime d’exprimer pour son propre compte, sa souffrance, sa colère et son désarroi.
La prise en charge de l’entourage permettra aussi de soulager la victime qui vit parfois douloureusement les effets de son agression sur ses proches.

- Rappeler la loi : possibilité pour la victime de porter plainte, de se faire aider dans ses démarches par une association d'aide aux victimes ou un avocat.


6 CAS PARTICULIERS

L’ENFANT QUI NE PARLE PAS

Si l’enfant ne parle pas, le médecin peut lui dire qu’il pourra parler plus tard, à lui même ou à une autre personne de confiance. Il lui exprime sans chercher à le faire parler qu’il comprend que c’est très difficile de dire certaines choses, surtout si on a subi des pressions, des menaces. Sans donner de détails, il rappelle qu’il y a des choses que les adultes n’ont pas le droit de faire aux enfants. Il propose à l'enfant de le revoir.

Dans tous les cas, il convient de parler à l’enfant des autres personnes qui peuvent intervenir, de l’ACCOMPAGNER vers l’étape suivante soit physiquement, soit au moins par des explications suffisantes.

L’ADOLESCENTE DE 15 À 18 ANS

Son accueil diffère peu par rapport à celui des femmes adultes. Il convient néanmoins d'individualiser cette catégorie de victimes qui ne peuvent plus être considérées comme des enfants au terme de la loi du 23 décembre 1980, puisque la révélation d'abus sexuels chez une mineure de plus de 15 ans ne permet pas de délier le médecin du secret. Comme pour les adultes, le médecin n’est délié de ce secret professionnel que lorsque l’adolescente donne son accord pour la dénonciation des faits dont elle a été victime.

Ces jeunes sont plus fragiles et plus vulnérables. Elles se trouvent dans une situation de détresse psychologique avec très souvent un sentiment de culpabilité. Elles ont souvent du mal à communiquer ce qui leur est arrivé, parce qu’elles n’osent utiliser ou qu’il leur manque les mots pour le dire. Un rôle important du médecin est alors d’accepter, sans les juger, l'imprécision et de traduire en termes cliniques simples des faits innommables pour elles. De plus, on relève fréquemment chez ces victimes la notion d’agression sous influence, qu'elle soit d'origine toxique (alcool, psychotropes, drogues) ou de domination (violences intra-familiales, personnes ayant autorité, enseignant).

LE VIOL ENTRE ÉPOUX

La réalité des violences sexuelles intra-conjugales est restée longtemps occultée voire niée, alors que selon certaines enquêtes, près des deux tiers des victimes de violences conjugales subiraient aussi des violences sexuelles. La prise en charge est délicate, car très souvent le tableau clinique est difficile à individualiser avec des motifs de consultation et des plaintes sans rapport avec le viol. Parfois, le diagnostic peut être évoqué à partir d'un non-dit, une hésitation, un regard fuyant. Parfois, le mari accompagne sa femme à la consultation, il peut apparaître comme trop présent, trop prévenant, répondant à la place de son épouse.

L'accueil de ces victimes est fondamental. Le médecin traitant peut être amené à jouer un rôle clef. Il pourra soutenir la victime en lui disant qu'elle n'est pas seule, que personne n'a de droit sur elle ni sur son corps, qu'être mariée ne donne pas tous les droits à son mari. Il pourra lui indiquer et lui expliquer les voies de recours possibles.

LE VIOL D'ADULTES HANDICAPÉS

Les abus sexuels peuvent être difficiles à évaluer et à diagnostiquer. La personne handicapée peut être la victime d’un individu qui, profitant de l'autorité qu'il exerce, abuse soit de sa crédulité soit de son incapacité à se défendre. L'agresseur est souvent un proche et alléguera volontiers que la victime était consentante. Dans ce genre de situations, il ne faut pas hésiter à adresser les victimes dans un centre d'accueil spécialisé où la prise en charge pourra se faire au sein d'une équipe pluridisciplinaire.
Rappelons cependant le rôle clef que peut jouer le médecin traitant dans ce type de situations. Il pourra, en effet, être conduit à poser le diagnostic d'agression sexuelle devant un faisceau d’arguments
cliniques.

LES AGRESSIONS SEXUELLES CHEZ L’HOMME

Moins fréquentes et surtout moins souvent révélées, les agressions sexuelles chez l'homme sont reconnues juridiquement. Le viol de l'homme est homosexuel ou hétérosexuel, une femme pouvant être auteur des faits.

L'accueil des victimes de sexe masculin répond aux mêmes objectifs que l'accueil des victimes de sexe féminin, c'est-à-dire : informer, préparer à l'examen clinique, programmer les examens complémentaires et proposer un accompagnement.

Quelques éléments sont particuliers aux agressions des victimes de sexe masculin :

un diagnostic difficile à poser : très souvent la composante sexuelle n'est pas révélée d'emblée et le diagnostic est évoqué devant la constatation de blessures somatiques, parfois importantes, comme des hématomes, des fractures ou des luxations inexpliqués. Le dialogue et l'entretien préalable sont fondamentaux. Ils pourront conduire la victime à des révélations et l’aider à accepter l'examen clinique.

La prise en charge des victimes de sexe masculin nécessite, elle aussi, une structure spécialisée pluridisciplinaire : consultation médico-judiciaire, service de chirurgie générale, urologie ou gastro-entérologie, voire service des urgences chirurgicales, consultation à visée psychothérapique.

LE VIOL EN RÉUNION

Ce type d’agression est très souvent le résultat d'un acte collectif (dit "en réunion") dans des milieux homosexuels et hétérosexuels où la victime, parfois désinhibée par l'alcool ou par la drogue, a pu être attirée par l'un des participants, ceci entraînant un intense sentiment de honte et de culpabilité rendant les révélations difficiles.

LES JEUX SEXUELS ENTRE ENFANTS

Certains parents, certains enseignants dénoncent des activités à caractère sexuel qu’ils ont surprises ou dont ils ont eu connaissance entre jeunes enfants.

La curiosité sexuelle et les jeux sexuels existent entre enfants du même sexe, de sexe opposé et de la même classe d’âge. Ce qui les caractérise, c’est l’absence de violence physique, de menace, d’intimidation, de peur, de chantage, de coercition. Il s’agit vraiment d’un jeu, sans caractère envahissant, ni compulsif, susceptible de s’arrêter si un adulte y met un terme.

Quand ces conditions n’existent pas, quand des enfants, même d’un âge similaire, s’adonnent de façon répétitive à des activités de voyeurisme, d’exhibitionnisme, de masturbation, de tentative de pénétration des orifices sexuels ou anaux, à des contacts oro-génitaux, de façon envahissante et non contrôlable, il ne s’agit plus de jeux
sexuels. Dans ce cas il faut considérer l’agresseur comme probablement lui-même victime d’agressions antérieures ou vivant dans un climat de pornographie et demander une évaluation pluridisciplinaire.


Dernière mise à jour : jeudi 18 octobre 2001 19:12:05
Dr Jean-Michel Thurin