COLLOQUE FRANCO-AMERICAIN DE PSYCHIATRIE
FRENCH AMERICAN PSYCHIATRIC MEETING


Paris/Beaune (France) : 8-12 juin 1998
Paris/Beaune (France) : June 8-12, 1998


Le devenir de l'hystérie
et la question des pathologies nouvelles

F.-R. Cousin, Hôpital Sainte-Anne, Paris

  • Hystérie

    Un contrôlant, jeune psychiatre-psychanalyste, présente à Lacan le matériel apporté par une personne venue récemment le consulter. Il se demande : s'agit-il d'un cas de psychose ou d'hystérie ?

    Et de conclure :

    ­ Pour finir, je pense qu'il ne s'agit que d'une hystérie.

    Réplique de Lacan :

    ­ Ah parce que vous pensez que l'hystérie c'est moins grave ?

    (Jean Allouch ­ « ­ Allô, Lacan ? ­ Certainement pas ». Et il raccroche. EPEL, Paris, février 1998).

    Certains psychiatres ont cru voir la mort de l'hystérie lors de la parution en 1980 du DSM III, l'éclatement du concept les a troublés mais ils ont rapidement fait le deuil d'une entité qui avait pourtant bercé leurs premières lectures et leurs premières expériences cliniques des troubles psychologiques.

    Finalement, l'athéorisme prôné à l'époque, le recul d'une clinique au profit du comportementalisme, l'essor de la psychopharmacologie avec simultanément l'intérêt porté aux troubles anxieux et dépressifs, le pragmatisme prenant le pas sur les hypothèses psychodynamiques, tout a contribué à l'acceptation passive d'un nouveau découpage pour aboutir aux terminologies éclatées de l'actuel DSM IV :

    ­ troubles somatoformes (incluant hypochondrie et dysmorphophobie) ;

    ­ troubles dissociatifs (incluant le trouble dissociatif de personnalité ou personnalité multiple) ;

    ­ personnalité histrionique.

    La résistance a été plus vive du côté des psychanalystes qui ont vu, dans cette amputation effectuée par la classification américaine, un dépeçage moderne des névroses, dernier mouvement d'un antifreudisme primaire qui vient porter atteinte au fondement même de la psychanalyse.

    Celle-ci, comme une bonne fée ne s'est-elle pas penchée sur le berceau de Dora et de bien d'autres femmes, considérées comme les premières égéries ? Tout le (supposé) savoir du psychanalyste ne vient-il pas de l'amnésie de l'une, de l'aphonie de l'autre, de l'anesthésie ou de la paralysie de la troisième ?

    C'est de cette découverte de la conversion somatique comme défense d'un conflit inconscient que sont nés conjointement les premières théories (première puis deuxième Topique) et les débuts de prise en charge (méthode cathartique puis technique psychanalytique jusqu'à la cure type).

    Alors ne devait-on pas vénérer l'hystérie comme une entité qui est définitivement entrée au Panthéon des troubles mentaux ?

    Entre ces deux lignes de conduite, celle « moderne » des résignés et celle « historique » des opposants, il existe pourtant une troisième voie plus réfléchie, plus mature qui prendrait en compte le caractère toujours innovant de l'hystérie face aux mutations sociales et au discours ambiant.

    Le démantèlement de l'hystérie ne serait pour le compte qu'une répétition névrotique constatée tout au long de l'histoire de la médecine et de la psychiatrie, l'aléa presque habituel d'un ultime rejet de la légendaire hystérie qui, après de multiples retouches, rectifications ou épurations successives, tel un phénix n'en finit pas de renaître de ses cendres ?

    L'hystérie contemporaine ne serait plus la fureur utérine des égyptiens, la continence sexuelle des grecs, la possession diabolique de l'Inquisition, les vapeurs du siècle des Lumières, la conversion fonctionnelle d'origine émotionnelle (syndrome de Bricquet), l'attaque paroxystique prévenue par compression des zones hystérogènes de Charcot, le pithiatisme de Babinsky, la dissociation ou le dédoublement de personnalité de Janet, l'échec du refoulement et le retour du refoulé de Freud ou enfin le désir du désir de Lacan.

    Et pourtant, dans l'hystérie d'hier se devine l'hystérie d'aujourd'hui ou de demain.

    Et pourtant, dans l'hystérie rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.

    Et pourtant, le face à face hystérique du sujet souffrant et du médecin se poursuit.

    Tout semble donc avoir disparu pour les uns, changé pour les autres mais les acteurs sont toujours là, si le décor s'est modifié le texte est toujours le même, seuls les masques se sont corrigés pour s'adapter aux évolutions de la société considérée, malgré une certaine dimension transculturelle.

    La femme hystérique est libérée, son théâtralisme est même magnifiée comme un des derniers refuges de la séduction ou comme une révolte sociale.

    Le symptôme hystérique s'adresse à de nouveaux interlocuteurs, le corps y parle toujours de souffrances indicibles.

    Le maître a été remplacé, il est rarement neurologue ou psychiatre, souvent psychanalyste ou psychothérapeute mais aussi gynécologue, gastroentérologue ou chirurgien.

    Plusieurs pistes se proposaient à nous pour cette exploration de l'hystérie contemporaine.

    Il nous a semblé capital, non seulement de ne pas faire l'économie de l'histoire du concept mais, qui plus est, de rechercher quels sont les invariants historiques dans les théories étiopathogéniques successives.

    A partir de l'analyse des tentatives antérieures de démantèlement de l'hystérie (religion, neurologie, DSM III), nous nous efforcerons d'analyser les péripéties relationnelles de l'hystérique face aux efforts de maîtrise savante de sa problématique sous-jacente.

    Finalement nous tenterons de montrer quels sont les métamorphoses actuelles d'une maladie vieille de quatre millénaires. Nous illustrerons notre propos de quelques vignettes cliniques, de quelques détours sur Internet et évoquerons la signification actuelle du mot pour l'homme de la rue.

    Du fait de leur continuité ou de leur analogie, nous avons consacré peu de temps l'hystérie de l'enfant et aux formes masculines, elles méritent des développements spécifiques plus longs que ceux autorisés par le cadre de cet exposé. Nous ne les évoquerons qu'à travers deux exemples celui du Tamagotchi chez l'enfant et celui du syndrome post-traumatique chez l'homme.

    De la même façon il est impossible d'être exhaustif sur l'hystérie, chaque psychiatre ou psychanalyste a pris soin, au moins une fois au cours de son existence, d'écrire sur ce que les surréalistes définissaient comme : « un moyen suprême d'expression ».