Définition et effets du stress : aigu, répété, chronique

Dr Jean-Michel THURIN

Selon le "Robert", dictionnaire historique de la langue française, "le stress est un emprunt à l'anglais, qui a d'abord signifié "épreuve", affliction", puis couramment "pression, contrainte, surmenage". Stress est issu de distress "affliction". Ce dernier est emprunté à l'ancien français destrece (-> détresse) ou à l'ancier français estrece "étroitesse, oppression". La notion de stress, proposée en anglais par l'endocrinologiste canadien Hans Selye en 1936, appartient d'abord au domaine de la biologie et de la psychologie. En français, le mot comme son étymon, désigne la réponse de l'organisme aux facteurs d'agression physiologiques et psychologiques ainsi qu'aux émotions qui nécessitent une adaptation. "

La définition du stress sera abordée ici dans le cadre de l'association entre des événements psychiques adverses - mais aussi favorables - et l'immunité.

Pour le psychiatre, le stress ne peut être considéré comme un événement isolé intervenant sur un organisme.

Il s'agit d'un processus psychosomatique, impliquant un environnement particulier qui interagit avec lui. Ce processus est susceptible de se répéter à la suite d'un événement analogue ou associé et de se mémoriser. Ce processus peut avoir des effets psychiques et somatiques, non seulement suivant une chaine simple, mais aussi à partir des effets secondaires somato psychiques et collatéraux qu'il aura initiés.

Il est devenu aujourd'hui possible d'analyser plus précisement les corrélations qui existent entre un événement ou une situation (dont on peut définir les caractères et la durée), des paramètres biologiques spécifiques et certaines conséquences somatiques et psychiques.

Ce qui est intéressant aussi, c'est que l'on part d'une modalité très proche de la réaction et du conditionnement pour arriver à la production de trajectoires psychopathologiques ou somatiques qui vont se définir en fonction d'adaptations secondaires de l'individu et de l'environnement.

1) Que recouvre le terme de stress dans la littérature scientifique ?

Le stress favorable concerne les événements qui produisent une mobilisation psychique et somatique, par exemple un cours ou un entretien, ou encore une situation professionnelle intense comme celle des contrôleurs aériens.

Le stress défavorable : une analyse de la littérature sur dépression, stress et environnement (réalisée dans le cadre d'une plate forme d'information scientifique FFP/INSERM), montre qu'il recouvre des événements de vie et des situations variés, qu'il concerne tous les âges et produit des effets à la fois psychoaffectifs et neurophysiologiques. La corrélation de cet ensemble avec un certain nombre d'affections commence à être étudiée, avec évidemment de grandes difficultés méthodologiques.

Evénements et changements de vie

On peut distinguer cinq catégories qui peuvent se recouvrir

1)  les agressions

attaque, abus, abus sexuel

2)  les pertes

perte, divorce, deuil, avortement, exil

3)  les catastrophes et désastres naturels

accident de transport (voiture, avion, train), tremblement de terre, ouragan et dommages associés

4)   les expériences de la vie

chagrin, tracas, humiliation, maladie, traumatisme, blessure

5)   les opérations chirurgicales et affections somatiques

hystérectomie, prostatectomie, cancer du sein

Situations

1)  la précarité

stress économique, travail, emploi, sans abri, pauvreté, chômage, dépendance, adversité, privation, détresse, démoralisation

2)  l'épuisement

fardeau (donneur de soins, …)

3)  l'isolement social

absence d'aide, solitude, séparation, incarcération

4)  Situations particulières

grossesse, post partum, post-traumatique

Remarquons que la torture réunit à la fois la précarité, l'épuisement, l'isolement social, la douleur et la peur, …

Tous les âges sont concernés :

- enfance

- âge scolaire

- pré adolescence

- adolescence

- âge moyen

- ménopause

- vieillesse

- fin de vie

Les répercussions étudiées

- anxiété

- hostilité, colère, violence

- alexithymie, dysphorie, anhédonie

- tristesse, perte d’espoir, démoralisation, détresse

 

- fatigue chronique, syndrome d'épuisement

- neurasthénie, dépressivité, dysthymie, dépression sub clinique, dépression, cyclothymie, troubles bipolaires, maniaco-dépressive, manie, dépression majeure, suicide

- pensées intrusives, insomnie, dissociation,

- alcoolisme, boulimie, PTSD

 

- fatigue, céphalée

- asthme, arthrite rhumatoïde, eczéma, diabète, lupus, ulcère duodénal, stérilité

- AIDS

- cancer (sein, mélanome), fibrome

- maladie cardiovasculaire

- migraine, épilepsie, Parkinson, fatigue

 

2) Modèle bio psychosocial des relations complexes entre stress et santé

A - IRWIN a proposé un modèle un modèle bio psychosocial pour décrire les relations complexes entre le stress et la santé.

Ce modèle fait intervenir la perception, elle même associée à l’environnement social (tels que le soutien et le travail), les caractéristiques personnelles (telles que l’âge, le sexe, l’état de santé) qui vont se conjuguer avec la personnalité pour prédire une façon de réagir et de s’adapter au stress.

Un comportement psychologiquement défaillant se traduisant par de l’insomnie, de l’anxiété ou de la dépression va induire des effets relayés par l’axe hypothalamo-pituito-surrénalien et le système nerveux sympathique, et intervenir sur le système immunitaire, notamment par l’effet du cortisol et des catécholamines. L’axe sympathique est réputé produire des effets plus rapidement que l’axe surrénalien sur le système immunitaire. Deux autres voies sont susceptibles d’intervenir : le système endocrine et le système immunitaire lui-même. Cette atteinte immunitaire va produire elle-même une susceptibilité accrue à la maladie et des changements dans l’état de santé. Ces troubles peuvent être majorés par un effet direct des troubles du sommeil ainsi que par des modifications comportementales telles que la réduction de l’exercice, l’alimentation, l’abus d’alcool ou d’autres drogues.

Cette chaîne peut être aggravée par les troubles de la santé qui peuvent eux-mêmes être générateurs de stress, à la fois directement et par les effets sur l’environnement qu’ils induisent.

 

B - Une des questions, auxquelles ne répond pas ce modèle est de savoir pourquoi certaines personnes répondent de façon automatique à certaines situations et/ou à des dates particulières (anniversaires d'événements). Il manque dans le modèle d'IRWIN la référence à l'histoire personnelle qui produit de véritables cibles à événements identiques ou analogique chez un individu qui les a vécus dans certaines conditions une première fois. Ceux-ci vont fonctionner comme de véritables rappels déclenchant une réaction psychophysiologique disproportionnée avec l'événement.

 

C - Le stress se situe à l’intersection de l’événement objectif et de l’événement subjectif.

Dans une méta analyse Tracy Bennet HERBERT et Sheldon COHEN ont différencié les stress objectifs tels que le deuil, le passage d’un examen, un accident … des stress vécus induits par la répétition d’événements et de soucis de la vie. Ceux-ci peuvent être objectivement insignifiants mais ils sont importants pour la personne qui les subit. Leur modèle est que des événements négatifs produisent des états affectifs négatifs (détresse) qui eux-mêmes induisent des altérations de l’immunité humaine.

Ce modèle simple implique en fait différents paramètres associés :

- des événements négatifs ne produisent pas toujours des troubles ou une détresse affective. La détresse se produit quand le stress est perçu comme dépassant la possibilité individuelle d’y faire face.

- le stress ne se définit pas seulement par le moment de sa survenue. Sa durée est également importante. On a ainsi distingué le stress aigu (durant moins d’une heure), le stress à court terme (durant entre plusieurs jours et un mois, comme un examen scolaire) et le stress à long terme (durant plus d’un mois, tel que le deuil, le chômage, le soin à des personnes atteintes de façon chronique comme la démence ou la schizophrénie).

La durée implique le cumul d’événements et leur possible hétérogénéité. Les événements sont par nature discontinus mais on va prendre en compte la durée durant laquelle ils se répètent de façon régulière (une semaine, un mois, une année …). La mesure individuelle de chacun de leurs effets paraît plus fiable qu'un étalonnage général.

La durée du stress est importante car, de ce paramètre, dépendent des différences au niveau des réponses neuroendocriniennes. L’intervention d’hormones telles que les catécholamines, le cortisol, la prolactine, l’hormone de croissance, qui affectent l’état immunitaire, dépend de la durée du stress. Par exemple, un stress court n’aura pas d’effet au niveau de la sécrétion de cortisol alors que ce sera le cas pour un stress de durée moyenne ou longue.

L'accumulation au cours d'une durée déterminée peut toutefois est modérée par un effet d’habituation, si bien qu'un stress à long terme peut produire moins d’altérations immunitaires qu’un stress à moyen terme.

Cette habituation n'est cependant pas obligatoire. Certains stress comme le deuil peuvent être réveillés par des rappels à des intervalles relativement fréquents. Ces rappels peuvent être des évocations par des situations, des photos, etc.

La réaction psychique peut être paradoxalement différée du fait de mécanismes de défense importants. Ainsi, paradoxalement, une dépression ou une réaction émotive immédiate peut être de meilleur pronostic que son absence ou son apparition différée.

- certains stress peuvent également être accompagnés de modifications des habitudes de vie (alimentation, dépendances, temps d'éveil, …) qui vont elles mêmes intervenir sur le système immunitaire.

- un quatrième niveau de distinction est constitué par le fait que le stress peut être un événement interpersonnel ou non. Les événements interpersonnels (tels que les ruptures sociales ou les pertes) produisent, semble-t-il, davantage d’affects dépressifs et de dépressions que les autres types d’événements.

 

Quelques effets immunologiques étudiés selon la nature du stress dans des recherches récentes

Trois études particulières

- Chez des adolescents, les changements dans la prolifération lymphocytaire et l'activité des cellules NK à la suite d'événements de vie négatifs se produisent seulement chez des sujets présentant une activation frontale gauche plus importante. (15)

- L'anxiété est un facteur susceptible d’influencer la concentration d’IgA durant la grossesse et la naissance.
Les mères anxieuses ayant un taux d’IgA très faible, voir indétectable, ont plus de risques de complications du post partum et leur enfant ont plus de maladies durant les 6 premières semaines du postpartum (Annie CL, Groher M)

- Le déménagement et la rupture sociale peuvent réduire la survie chez singes inoculés SIV

Objectif : tester l’hypothèse qu’un changement du logement, particulièrement s’il implique des séparations sociales, a un impact négatif sur la survie de 298 singes rhésus inoculés expérimentalement avec le SIV.

Résultats : une séparation dans les 90 jours précédant l’inoculation et dans les 30 jours après l’inoculation entraîne une réduction de la survie.

En résumé,

Pour mieux comprendre comment les qualités ou les caractéristiques du stress sont associées à une altération immunitaire, il est nécessaire de déterminer non seulement ses critères objectifs de survenue et de durée mais également les caractéristiques qualitatives du choc ou de la situation, ainsi que les facteurs individuels et sociaux qui rendent un individu plus ou moins susceptibles d'opérer cette variation immunitaire.

Actuellement, il devient possible de corréler ces différents critères avec des variables physiologiques et biologiques assez spécifiques. Cependant, il faut bien remarquer que si ces réactions semblent être des réactions d'adaptation de l'organisme, rien ne dit qu'elles se situent au même niveau. Par exemple, on peut concevoir que certaines des réactions puissent être directes alors que d'autres font intervenir différents maillons intermédiaires.

Enfin, il existe différentes temporalités des effets du stress.


Dernière mise à jour : dimanche 26 mars 2000 15:21:08

Dr Jean-Michel Thurin

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