CYTOKINES ET SYSTEME NERVEUX

Claude JACQUE, INSERM U495, Hôpital de la Salpêtrière, 75651 Paris cedex 13

 

Dans son acception restreinte, le terme de cytokine regroupe un ensemble de molécules échangées entre cellules de l’immunité dans le cadre de la réaction inflammatoire. Selon l’action favorable ou défavorable qu’elles exercent sur ce processus on distingue les cytokines pro-inflammatoires (TNFa, IL-1, IL-6...) et les cytokines anti-inflammatoires (TGFb, IL-4, IL-10...).

Leurs activités ont été découvertes puis abondamment décrites dans le cadre de l’immunité périphérique. Leur présence dans le cerveau a longtemps été tenue pour la manifestation d’une inflammation cérébrale. Cependant, au cours des récentes années, a émergée la notion que ces cytokines pouvaient avoir dans le système nerveux (SN) des rôles autres, non liés à l’inflammation (Vitkovic et al., 1999). En dépit de divergences entre auteurs sur la présence ou non dans un cerveau sain non pathologique de certaines cytokines, des faits établis ainsi que quelques spéculations bien argumentées indiquent qu’elles exercent des activités diverses dans le cerveau (Jacque et Tchélingérian, 1994; Schneider et al., 1998; Benzig et al., 1999).

Lors de processus inflammatoires du SN elles peuvent être synthétisées en abondance par plusieurs populations de cellules. En effet, aussi bien les monocytes infiltrants en provenance de la circulation sanguine que des cellules résidentes du SNC, cellules microgliales et astrocytaires, ont la capacité de produire les 2 formes d’IL-1 (a et b), le TNFa et l’IL-6 ainsi que le TGFb1.

Des expressions intra-cérébrales de ces cytokines ont été observées dans les grandes pathologies inflammatoires du SN: sclérose en plaques, SIDA neurologique, encéphalites virales et infectieuses (Voir les revues par Schöbitz et al., 1994; Merrill et Benveniste, 1996; Mrak et al., 1995; Navikas et Link, 1996). Certaines pathologies nerveuses non inflammatoires s’accompagnent également d’une production intracérébrale de certaines cytokines. Ainsi, une synthèse neuronale, voire secondairement gliale d’IL-1 et de TNF a pu être observée lors d’infection par des virus neurotropes (Bencsik et al., 1996) ou à la suite de lésion de l’hippocampe (Tchélingérian et al., 1993) ou encore à la suite de crises de type épileptique (Gahring et al., 1997; Yuhas et al., 1999).

La compréhension des effets de ces cytokines sur le système nerveux a amené à s’interroger sur une expression constitutive de leurs récepteurs. Si l’humain a été très peu étudié sur ce plan, en revanche quelques travaux conduits sur le rongeur montrent une expression constitutive des récepteurs de l’IL-1 (Ban et al., 1991; Cunningham et al., 1992; Parnet et al., 1994), de ceux du TNF (Tchélingérian et al., 1995), de l’IL-6 (Schöbitz et al., 1994) et du TGFb (Slotkin et al., 1997), principalement sur des neurones. Une expression de certains récepteurs par des cellules gliales, épendymaires ou endothéliales a également pu être décrite.

Le registre des effets engendrés par l’activation de ces récepteurs est vaste. Pour ce qui concerne les neurones, des effets apparemment contradictoires ont été observés. Des effets toxiques de l’IL-1 et du TNFa ont été décrits (Chao et al., 1995; Barone et al., 1997; de Bock et al., 1998), mais aussi des effets protecteurs (Cheng et al., 1994; Bruce et al., 1996) ou modulateurs neutres pour leur survie (Zhao et Schwartz, 1998; Vitkovic et al., 1999). Le type d’approche, in vivo ou in vitro, les conditions expérimentales, l’état d’activation des cellules-cibles semblent jouer un rôle déterminant sur la résultante protectrice ou toxique des effets combinés d’une ou plusieurs cytokines sur un type cellulaire. Il est intéressant de noter que les fonctions modulatrices des cytokines sur les activités proprement neuronales, neurotransmission, propagation de l’influx , ouvrent une perspective extrèmement riche sur un rôle crucial pour ces cytokines dans les régulations fines d’activités nerveuses physiologiques. Sur ce point on peut déjà citer leur rôle dans la régulation des états fébriles et du sommeil, ainsi que dans la gestion du stress et de l’immunité.

Références:

Ban E, Milon G, Prudhomme N, Fillion G, Haour F (1991). Neuroscience 43, 21-30.

Barone F, Arvin B, White B, Miller A, Webb C, Willette R, Lysko P, Feueurstein G (1997). Stroke 28, 1233-1244.

Bencsik A., Malcus C, Akaoka H, Giraudon P, Belin M, Bernard A (1996).J Neuroimmunol 65, 1-9.

Benzig T, Brandes R, Sellin L, Schermer B, Lecker S, Walz G, Kim E (1999). Nature Med 5, 913-918.

Bruce A, Boling W, Kindy M, Peschon J, Kraemer P, Carpenter M, Holtsberg F,Mattson M (1996). Nature Med 2, 788-794.

Chao C, Hu S, Ehrlich L, Peterson P (1995). Brain Behav Immun 9, 355-365.

Cheng B, Christakos S, Mattson M (1994). Neuron 12, 537-544.

Cunningham E, Wada E, Carter D, Tracey D, Battey J, De Souza E (1992). J Neurosci 12, 1101-1114.

de BockF, Derijard B, Dornand J, Bockaert J, Rondouin G (1998). Eur J Neurosci10, 3107-3114.

Gahring L, White S, Skradski S, Carlson G, Rogers S (1997). Neurobiol Disease 3,263-269.

Jacque C, Tchélingérian J (1994). Rev Neurol 150, 748-756.

Mrak R, Sheng J, Griffin S (1995). Hum Pathol 26, 816-823.

Merrill J and Benveniste E (1996). Trends Neurosci 19, 331-338.

Navikas V, Link H (1996). J Neurosci Res 45, 322-333.

Schneider H, Pitossi F, Balchung D, Wagner A, del Rey A, Besedovsky H (1998).PNAS USA 95, 7778-7783.

Schöbitz B, Holsboer F, de Kloet E (1994). Prog Neurobiol 44, 397-432.

Slotkin T, Wang X, Symonds H, Seidler F (1997). Dev Brain Res 99, 61-65.

Tchélingérian J, Monge M, Le Saux F, Zalc B, Jacque C (1995). J Neurochem 65,2377-2380.

Tchélingérian J, Quinonero J, Booss J, Jacque C (1993). Neuron 10, 213-224.

Vitkovic L, Bockaert J, Jacque C (1999). J Neurochem (sous presse).

Yuhas Y, Shulman L, Weizman A, Kaminsky E, Vanichkin A, Ashkenazi S (1999).Infect Immun 67, 1455-1460.

Zhao B, Schwartz J (1998). J Neurosci Res 52, 7-16.



Dernière mise à jour : mardi 19 octobre 1999 16:35:52

Dr Jean-Michel Thurin

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