PROJET DE RAPPORT SUR LA RECHERCHE PSYCHIATRIQUE A L’INSERM




Le présent rapport a été rédigé pour et à la demande du Conseil Scientifique de l’INSERM par un groupe de travail animé par C. KORDON, et auquel ont participé Mesdames A. ALPEROVITICH et RUMEAU-ROUQUETTE et Messieurs J.P. BOULANGER, G. DARCOURT, P. LEMOINE, H. LOO, J.C. SCOTTO, D. SECHTER, D. WIDLOCHER et E. ZARIFIAN




SOMMAIRE ET RESUME DES PROPOSITIONS DU RAPPORT

I. INTRODUCTION

L'effort de l'INSERM en direction de la recherche en psychiatrie est insuffisant. Quelques unes des causes de cette situation sont examinées : la pertinence insuffisante des modèles neurobiologiques proposés à la psychiatrie, qui, malgré les grands espoirs initialement fondés sur eux, a souvent conduit la discipline dans des voies sans issue ; la taille très modeste et la grande dispersion des services de psychiatrie ; la formation et l’information insuffisantes des psychiatres quant aux possibilités et aux contraintes de la recherche moderne. Dans une période récente, ces facteurs ont en traîné une diminution du nombre et de la qualité des projets soumis à l’INSERM.


II. L'ETAT DES LIEUX

1. L es grandes orientations de la recherche psychiatrique
a. L'épidémiologie psychiatrique
Les recherches devraient être orientées préférentiellement vers l'épidémiologie analytique, en testant de nouvelles hypothèses sur les facteurs de risque et sur l’incidence de la susceptibilité génétique et des facteurs environnementaux.

b. La recherche clinique
Il est très souhaitable d'accroître le soutien à la recherche clinique. L'analyse de l’évolution et les facteurs pronostiques des affections psychiques majeures - troubles de l’humeur et du sommeil, schizophrénie et démences séniles - ainsi que la détection précoce des troubles psychiques mineurs, doivent s'appuyer davantage sur les nouvelles techniques de la neuropsychologie, de l'imagerie cérébrale et de la chronosémiologie.

c. L'évaluation de la qualité des soins
Un effort de recherche dans ce domaine devrait permettre la définition de parcours thérapeutiques adaptés à des populations déterminées de patients. L'évaluation devrai t également être étendue aux méthodes psychothérapeutiques.

d. L'émergence de thèmes nouveaux ou de domaines dans lesquels de nouvelles techniques ont été mises au point
L'accent doit être mis sur les nouvelles stratégies d'analyse génétique . Les perspectives ouvertes par la neuroimmunologie et par les méthodes nouvelles des sciences humaines doivent également être explorées.

2. Situation internationale de la recherche psychiatrique française

Quelques causes de la très faible pénétration de la recherche psychiatrique française dans la littérature internationale sont analysées.

3. Les problèmes de formation

Une vingtaine de jeunes psychiatres seulement ont bénéficié d'une formation de qualité par la recherche entre 1980 et 1986. Malgré sa modestie, cet effort de formation aurait eu un meilleur impact si les jeunes cliniciens concernés avaient pu s'intégrer dans des structures d'accueil appropriées.

III. PROPOSITIONS

1. Développer la recherche de façon plus volontariste

Un effort plus volontariste de formation, d'information et de suscitation de projets est nécessaire s i l'on veut redresser la situation. Des propositions concrètes sont avancées :

Confier à un petit groupe de chercheurs INSERM et de psychiatres cliniciens, une mission temporaire visant à susciter des projets de recherche dans la discipline, et à proposer à leurs auteurs une assistance pour la mise en cohérence et la formulation de leur programme et pour le choix de la formule la mieux adaptée à sa réalisation. L'évaluation des programmes ainsi suscités resterait évidemment d e la compétence exclusive des instances statutaires de l'INSERM, le groupe de travail n'intervenant qu’au niveau de leur pré-instruction et de leur mise en forme.

Une première exploration des recherches qui pourraient être encouragées au niveau national suggère que cinq services de psychiatrie (deux en Ile-de-France et trois en province) pourraient présenter, dans des délais relativement brefs, un projet de recherche structuré. Ces projets concernent plus particulièrement l'épidémiologie, la psycho-pharmacologie clinique, la pathologie des comportements alimentai res, la pharmacologie et la psychopathologie des troubles cognitifs, la psychopharmacologie et l'étude de la dépression chez l'enfant et l’adolescent, éventuellement, les aspects neuroimmunologiques des affections psychiatriques.

2. Promouvoir la formation par la recherche
La candidature de jeunes cliniciens psychiatres à des bourses de formation et à des postes d'accueil devrait être encouragée, en privilégiant leur insertion, pendant ces stages de formation, dans un petit nombre de centres présentant des garanties suffisantes d'encadrement et de qualité scientifique.

Un mini colloque d'animation pourrait être organisé sur les perspectives de la recherche dans la discipline, ainsi qu'un atelier destiné à permettre aux cliniciens une meilleure maîtrise dits outils de la génétique, de la neuropsychologie, de la neuropharmacologie, de la neuroimmunologie et de l'épidémiologie.

3. Réunifier la psychiatrie au se n des commissions spécialisées de l'INSERM

L'ensemble des psychiatres liés à l'INSERM devraient être regroupés dans une seule CSS, plutôt que d'être répartis sur plusieurs d'entre elles.

4. Pour une meilleure information de la communauté psychiatrique sur les possibilités et les conditions d'accès à des moyens de recherche , et en particulier sur une utilisation plus rationnelle des nouvelles formules de soutien à la recherche clinique mises en place par l'INSERM, devrai t être assurée en concertation avec le CNUP.

IV. CONCLUSION




1. INTRODUCTION

La recherche psychiatrique n'a pas en France la place qu'elle mérite. Les causes de son développement insuffisant sont multiples. Certaines tiennent à la discipline elle-même, et ne sont pas spécifiques à notre pays. Par exemple, les modèles biologiques ou expérimentaux, sur lesquels se fonde la recherche clinique dans la plupart de autres disciplines, se sont révélés décevants et peu adaptés à l'étude des affections psychiatriques et des comportements humains pathologiques. La recherche psychiatrique devrait donc s'appuyer plus fortement sur la clinique ; mais cette stratégie est elle-même malaisée dans la mesure où l'objectivation des syndromes psychiatriques demeure incertaine et dépendante de tests qui n'ont pas toujours justifié les espoirs que l'on fondait sur eux, d'où une évolution fluctuante de la répartition nosologique des entités psychiatriques. Jusqu'à présent la recherche biologique dans le champ de la psychiatrie, n'a donc pu ni vraiment asservir les outils et les méthodes de la neurobiologie moderne à ses objectifs, ni développer suffisamment d'outils qui lui soient propres.

D’autres causes sont conjoncturelles et tiennent par exemple : à la grande dispersion des services de psychiatrie, trop fragmentés et dont la taille et l'organisation sont généralement peu compatibles avec la recherche ; à la formation insuffisante des responsables de services et des cliniciens à une réflexion stratégique sur la recherche ; ou encore a une mauvaise information des cliniciens quant aux conditions et aux contraintes de l'évaluation et du financement de la recherche publique.

Quelles qu'en soient les raisons, cette situation est préoccupante et mérite que d'importants efforts soient faits pour y remédier. Les problèmes de santé mentale représentent une cause majeure de handicaps et de maladies invalidantes ainsi qu'une lourde charge économique. La psychiatrie française n est d'ailleurs pas sans atouts pour redresser la situation. Un petit nombre de jeunes psychiatres ont pu bénéficier d'une formation par la recherche d'excellente qualité dans des équipes étrangères (une vingtaine au cours des dernières années). Une volonté de se former à la recherche et d'en acquérir moyens commence à se manifester dans des services psychiatriques de secteur jusqu'ici relativement réticents. Enfin, des progrès méthodologiques et une structuration plus efficace des partenaires naturels de la recherche psychiatrique en épidémiologie, en génétique, en neuropsychologie, pour ne pas parler de la neurobiologie au sens large, devraient maintenant permettre d'explorer de nouvelles coopérations.

Le présent rapport a pour objectif de présenter, sur la base d'un bilan critique de l'état actuel de la recherche psychiatrique en France et dans un contexte international (état des lieux thématique, niveau de formation, adéquation des structures quelques propositions concrètes permettant à l'INSERM, en conformité avec les priorités définies par son Conseil Scientifique, de réinvestir progressivement un domaine dont il s'est quelque peu désengagé au cours des dernières années.


Il. LETAT DES LIEUX

1. Les grandes orientations de la recherche psychiatrique

Au cours des vingt dernières années, une partie de la recherche psychiatrique a naturellement tenté de s'inspirer des modèles biologiques qui ont joué un rôle capital dans le développement des sciences médicales. Ces tentatives se sont malheureusement révélées largement illusoires. Les modèles neurobiologiques utilisés jusqu'ici n'ont qu'une faible valeur explicative pour rendre compte de la pathologie mentale ; l'observation clinique est malaisément quantifiable en psychiatrie. ; la recherche de marqueurs biologiques (hormonaux, pharmacologiques) éventuellement corrélés avec des syndromes psychiatriques ou psychologiques déterminés
n'aboutit, au mieux, q u'à une validation statistique globale d'entités nosologiques mais pas à la définition d'indicateurs diagnostiques ou prédictifs ; malgré d'indéniables succès, la psychopharmacologie reste largement empirique, et ses résultats les plus marquants, s'ils nous éclairent sur le mécanisme d'action des médicaments psychotropes sur le système nerveux central. se sont révélés beaucoup moins efficaces que la démarche clinique empirique et n'ont conduit à aucune percée thérapeutique majeure.

L'analyse de la littérature internationale reflète ces incertitudes, et l'on a pu juger que les grandes revues de la discipline en devenaient "monotones". Quelques thèmes plus marquants peuvent néanmoins être démontrés, comme la biologie des troubles de l'humeur, de la schizophrénie et de la névrose obsessionnelle, les comportements alimentaires et leurs déviances, le sommeil, les épreuves neuropsychologiques en psychiatrie et la modélisation de programmes d'action par des méthodes d'intelligence artificielle.

Ces constatations conduisent la psychiatrie à reconsidérer ses stratégies de recherche. En décalage avec l'évolution observée dans d'autres disciplines, celles-ci devraient être définies de manière plus délibérée à partir de la réalité clinique. Il convient de souligner à cet égard que les sites propices au développement d'une recherche basée sur la clinique relèvent probablement de façon moins exclusive que dans d'autres secteurs des centres hospitalo-universitaires ; quelques centres hospitaliers régionaux devraient donc aussi pouvoir bénéficier des mesures préconisées ci-après.

Citons, parmi les quelques orientations à privilégier

a. L’épidémiologie psychiatrique :

La recherche en épidémiologie psychiatrique a souffert de l'imprécision relative de la sémiologie et de la nosologie. Des échelles de quantification validées, des critères de diagnostic précis sont maintenant disponibles et utilisés dans les études épidémiologiques descriptives récentes, en population générale ou sur des séries cliniques. Certains soulignent l'imperfection de ces instruments et voudraient investir dans de nouvelles recherches dans ce domaine. Ces efforts risquent d'être peu productifs et il faut inciter les équipes de recherche à s'orienter plutôt vers des études d'épidémiologie analytique, moins tributaires, en général, de limites instrumentales que les travaux descriptifs. Cette recherche analytique nécessite de générer des hypothèses sur le facteurs de risque de différentes maladies mentales, à partir des connaissances actuelles en psychiatrie clinique et biologique. L'étude de la susceptibilité génétique et de son interaction potentielle avec des facteurs environnementaux, l'étude longitudinale des déterminants psychosociaux de certaines affections mentales pourraient constituer des thèmes de recherche prioritaires.

b. La recherche clinique :

Les orientations les plus importantes concernent la dépression, les troubles du sommeil, la schizophrénie, ainsi que les démences séniles dont on peut attendre que l'analyse soit rendue beaucoup plus efficace par l'introduction de techniques neuropsychologiques et d'imagerie cérébrale. Comme l'épidémiologie, la recherche clinique bénéficie des efforts récents en matière de critères de diagnostic et d'échelles d'évaluation des symptômes. Il est désormais possible de conduire des études longitudinales sur des groupes de malades relativement homogènes pour analyser l'évolution et étudier les facteurs pronostiques des affections psychiatriques chroniques. Dans ce domaine, les études multicentriques sont d'un intérêt majeur. La clinique somatique, l'analyse fine de marqueurs comportementaux ou d'éléments du langage devraient permettre d'améliorer la détection précoce des dysfonctionnements psychiques mineurs. Enfin la chronosémiologie devrait connaître des développements intéressants ; elle présente en outre l'avantage de rapprocher la psychiatrie de concepts biologiques pertinents.

c. L'évaluation de la qualité des soins :

Le décalage entre les concepts théoriques et la pratique quotidienne, l'imprécision des travaux pharmacologiques concernant les posologies optimales ou l'inefficacité, chez certains sujets, de procédures thérapeutiques démontrées devraient faire de ce thème de recherche une priorité. De telles analyses devraient aboutir à la définition de "parcours thérapeutiques" adaptés à des populations déterminées de patients. Elles auraient en outre l'avantage de rendre la démarche de prescription un peu plus indépendante de l'industrie pharmaceutique. La recherche sur l'évaluation devra évidemment être étendue aux méthodes psychothérapeutiques, et s'appuyer sur les quelques (rares) équipes qui ont acquis une compétence en épidémiologie psychologique.

Parallèlement à ces études de terrain, il faut encourager des recherches méthodologiques sur des échelles d"'utilité" adaptées aux problèmes de la maladie mentale (le sens du terme utilité étant ici celui que lui donne la théorie de la décision). En l'absence de telles échelles, aucune étude de type coût-bénéfice sur les pratiques de soins ne peut être vraiment concluante.


d. L'émergence de thèmes nouveaux ou de domaines dans lesquels de nouvelles techniques ont été mises au point :

Citons à ce titre les nouvelles stratégies d'analyse génétique et de localisation de remaniements géniques, également applicables dans certaines conditions à des contextes de prévalence polygénique ; la neuroimmunologie, qui permettra probablement l'identification de marqueurs biologiques du risque de somatisation des conduites non adaptatives (encore que l'interprétation de tels marqueurs, le rapide progrès au niveau de l'expérimentation animale, nécessitera chez l'homme une extrême prudence) ; enfin l'application de nouveaux outils et de nouveaux concepts issus des sciences humaines et sociales à l'appréciation des facteurs de risque psychosociaux, y compris leurs aspects pédopsychiatriques et les toxicomanies.


2. Situation internationale de la recherche psychiatrique française

Les habitudes de publications de la recherche psychiatrique sont fortement empreintes d'un “effet club" (les résultats de la recherche britannique, scandinave, française... sont plus encore que dans d'autres disciplines publiés dans des journaux contrôlés par des comités de rédaction nationaux, bénéficiant souvent de l'appui de firmes pharmaceutiques).

La contribution française n'a représenté qu'environ 1,2 % de l'ensemble des articles de haut niveau publiés dans des revues internationales de psychiatrie en 1988, soit deux fois moins que l'Italie, près de quatre fois moins que la RFA ou le Canada et six fois moins que la Grande-Bretagne (les publications américaines représentant 63 % de l'échantillon analysé). La faiblesse des publications françaises dans le domaine reflète une situation dans laquelle seules 6 à 8 équipes ont accès à la littérature internationale (2 unités spécifiques de l'INSERM et quelques services universitaires). La dispersion des autres chercheurs (environ une cinquantaine., 9 de l'INSERM et 2 du CNRS répartis sur douze équipes différentes, dont les deux tiers consacrent un temps égal ou supérieur à 40% à la recherche) ne semble guère leur permettre de s'engager dans des opérations de recherche nécessitant une masse critique minimale.

La spécificité et les traditions de publication de la discipline devront être mieux prises en compte par les CSS, notamment lors de recrutements ou de promotions, sans pour autant renoncer au critère prioritaire de la qualité scientifique des travaux.

3. Les problèmes de formation
Un petit nombre de jeunes psychiatres ont reçu une formation par la recherche de bonne qualité, en particulier grâce à des bourses du Ministère de la Recherche et de la Technologie financées entre 1980 et 1986 dans le cadre de l'Action concertée "Dynamique du neurone et des ensembles neuronaux" (17 boursiers), à des bourses de psychiatrie biologique de la Fondation pour la Recherche. Médicale (4) et à quelques bourses de NIH (3). L'INSERM a contribué à cet effort de formation sous la forme d'un poste d'accueil.
Quatorze boursiers ont effectué tout ou partie de leur stage de formation aux Etats-Unis, 5 en France et 6 dans d'autres pays.
Réparti sur une dizaine d'année cet effort reste modeste. Il aurait cependant pu contribuer de manière plus marquante à rendre à la recherche psychiatrique la place qu'elle mérite si des structures d'accueil appropriées avaient donné des possibilités de recherche aux jeunes cliniciens ainsi formés. La réduction du nombre des unités INSERM consacrées à la psychiatrie, la dispersion des structures hospitalières, l'intérêt insuffisant apporté par leurs responsables à la recherche et la difficulté de proposer aux candidats des postes leur assurant un temps de recherche protégé n'ont malheureusement pas permis de rentabiliser suffisamment l'effort entrepris.

111. PROPOSITIONS

Les propositions qui suivent prennent en compte, pour tenter d'y remédier, les causes du relatif sous-développement de la recherche psychiatrique brièvement analysées dans les paragraphes précédents. Cette analyse suggère également que les structures de l'INSERM et les procédures mises en place par l'Institut pour promouvoir la recherche sont moins bien adaptées à la psychiatrie qu'aux autres disciplines médicales. Il n'est cependant pas apparu réaliste aux auteurs de ce rapport de proposer des procédures séparées de soutien à la recherche psychiatrique ; les recommandations présentées cherchent plutôt à favoriser, de manière pragmatique, un meilleur accès des chercheurs et des cliniciens aux procédures existantes. Ces recommandations sont regroupées en fonction de trois objectifs :

- professionnaliser, d'un point de vue scientifique, un petit nombre de sites, et y favoriser l'émergence d'une masse critique minimale permettant la soumission d'opérations de recherche ;
- pallier l'insuffisance de la formation, tant pour élever le niveau scientifique des cliniciens que pour attirer des spécialistes non cliniciens vers la recherche psychiatrique ;
- permettre une meilleure information réciproque des instances d’évaluation de l’INSERM et des acteurs potentiels de la recherche psychiatrique.


1. Développer la recherche de façon plus volontariste

La dispersion et la taille modeste des équipes de psychiatrie devraient les conduire à recourir davantage aux procédures légères récemment mises en place par l'INSERM plutôt que de viser en priorité, au moins dans l'immédiat, la création de structures lourdes.

Il est en effet apparu au cours des dernières années qu'il n'existait pas dans la discipline d'équipe disposant à la fois d'une stratégie de recherche et d'un nombre suffisant de chercheurs pour présenter dans de bonnes conditions une demande de création d'unité nouvelle (au contraire, des unités ont été fermées depuis 1980 et les deux créations réalisées ne concernent qu'accessoirement la psychiatrie). La procédure des contrats jeunes formations (CJF) pourrait être recommandée. comme nécessitant un potentiel de départ moins lourd (2 chercheurs plein temps, dont un de l'INSERM) ; les CJF, dont la durée est limitée à 3 ans, peuvent représenter un bon "banc d'essai" pour la préparation d'une demande d'unité. Il est cependant vraisemblable qu'un petit nombre d'équipes de psychiatrie seulement seront en mesure de présenter d'emblée une demande de CJF.

Les autres équipes devraient être invitées à préparer leur éventuelle structuration ultérieurement par le biais de demandes de contrats de recherche externe (CRE) (2 ans de financement sur évaluation des CSS) ou de contrats normalisés d'études pilote (CNEP), une formule souple relativement nouvelle, qui permet le financement rapide d'idées originales à un niveau plus modeste. La participation d'équipes de psychiatrie à des réseaux de recherche clinique, qui les associeraient par exemple à des unités de recherche de neurobiologie ou d'épidémiologie, permettrait également de réintégrer ces équipes dans un courant de recherche établi.
Force est cependant de constater que, bien que les CRE et les CJF existent depuis longtemps et que les premiers CNEP aient été attribués en 1989, seul un nombre très limité de demandes de ce type ont été présentées au titre de la recherche psychiatrique depuis trois ans (et n'ont d'ailleurs pas été retenues). Les équipes de psychiatrie semblent donc éprouver des difficultés pour présenter ou pour faire reconnaître des dossiers, même dans le cadre de 'Ces formules plus légères.

Ces difficultés tiennent en partie à un problème d'information qui sera traité plus loin, mais elles témoignent également d'une expérience encore insuffisante des règles du jeu des organismes de recherche de la part de la communauté psychiatrique, qui réussit mal à présenter ses objectifs de manière suffisamment convaincante dans une compétition difficile entre projets différents, ainsi que d'une relative ignorance des contraintes et des servitudes de la recherche en psychiatrie de la part des membres des instances d'évaluation de l'INSERM.

Sans pour autant mettre en cause les procédures habituelles d'expertise et de classement, un effort plus volontariste dans la détection, la formulation et la présentation d'opérations de recherche psychiatrique est nécessaire. Cet effort devrait précéder la présentation de contrats aux instances d'évaluation, il pourrait prendre la forme d'une assistance de l'organisme à l'instruction préalable, à l'analyse de faisabilité et à la mise en forme des dossiers, sur demande de leurs promoteurs.

Cette assistance pourrait, selon le cas, être assurée selon les modalités suivantes :

a) L'INSERM a récemment mis en place une formule de consultants, choisis parmi les chercheurs de ses unités et rémunérés par lui, pour aider les équipes cliniques à tester la faisabilité d'une idée et à rendre la formulation de leurs protocoles plus accessible aux CSS. De tels consultants pourraient coopérer à la rédaction de programmes de recherche, soit à la demande d'une équipe clinique, soit à celle d'un ensemble d'équipes souhaitant s'associer dans le cadre d'un projet thématique (par exemple en épidémiologie, en génétique ou en évaluation de la qualité des soins).

b) L'identification des équipes cliniques susceptibles d'être associées sur un thème de recherche, ou la conception de programmes impliquant la mise en oeuvre de moyens coordonnés, peut nécessiter une instruction plus ambitieuse qu'une intervention de consultants. Dans ce cas, un groupe de travail ad hoc devrait être constitué. Composé de quelques représentants des cliniciens, des chercheurs, et le cas échéant. des CSCRI et/ou des observatoires régionaux de santé (ORS), ce groupe aurait pour mission :

Un premier examen des services cliniques susceptibles de présenter des projets de recherche de qualité fait d'ores et déjà ressortir cinq candidatures potentielles (trois en province et deux à Paris), couvrant plusieurs des orientations proposées ci-dessus.
- de susciter des expériences pilote, même modestes, pour réamorcer un courant de recherche ;
- de contribuer à la réflexion et à la formation de projets de recherche ;
- de définir une politique de site, c'est-à-dire de déterminer les sites dans lesquels les projets bénéficieront de l’environnement scientifique et clinique le plus favorable ;
- de faire un premier tri de ces projets et d'aider leurs auteurs à leur mise en forme.

Le développement de l'épidémiologie psychiatrique nécessiterait lui aussi une stratégie de sites (ou de pôles), consistant à intégrer quelques antennes d'épidémiologie dans des équipes choisies pour l'appui logistique qu'elles s'engageront à leur apporter. La recherche de tels pôles pourrait aussi être confiée au groupe de travail ad hoc.

c) Des impératifs de santé publique ou de politique scientifique peuvent rendre souhaitable le développement de thèmes ne bénéficiant pas encore (ou pas suffisamment) d'une tradition de recherche établie. C'est le cas par exemple des recherches sur le vieillissement, sur le handicap ou sur l'évaluation de la qualité des soins. Ce sont là des domaines dans lesquels les mécanismes habituels de sélection des projets, basés sur une présentation "spontanée" de programmes suivie d'une sélection en fonction de la qualité, ne suffisent pas toujours à assurer le développement d'orientations nouvelles. Pour surmonter cette difficulté, l'INSERM a mis en place un certain nombre d"'intercommissions". Celles-ci ne font pas double emploi avec les CSS. dans la mesure où elles n'ont compétence ni pour le recrutement de chercheurs, ni pour la création d'unités. En revanche, elles ont la capacité de définir des stratégies de développement, et de proposer l'affichage des moyens correspondants. Le développement de certains axes de recherche psychiatriue pourrait utilement être ajouté au cahier des charges des intercommissions "Handicap" et "Evaluation des systèmes de soins".


2. Promouvoir de la formation par la recherche

La formation par la recherche d'un nombre accru de jeunes psychiatres représente une condition essentielle du succès de nouvelles opérations de recherche. Comme nous l'avons vu, le problème est complexe ; il faut former de jeunes cliniciens, mais aussi amener un certain nombre de non cliniciens (par exemple des épidémiologistes ou des généticiens) vers la recherche psychiatrique ; dans le même temps, il faut préparer quelques sites de formation à mieux les recevoir et à mieux les encadrer ; il faut également prévoir des lieux et des positions de recherche dans lesquels ils puissent valoriser la compétence qu'ils ont acquise en préservant leur temps de recherche contre une surcharge de leur activité clinique, tout en conservant eux-mêmes la possibilité de former de nouveaux cliniciens.

a) Pour ce qui concerne la formation initiale par la recherche (niveau des troisièmes cycles scientifiques), un nombre plus élevé d'internes devrait être encouragé à préparer un DEA (par exemple en épidémiologie ou dans l'un des DEA généralistes de neurobiologie). Les financements correspondants pourront être pris en charge par la FRM. Une partie d'entre eux aura intérêt à poursuivre jusqu'au niveau de la thèse. S'agissant de stages européens, leur prise en charge pourra être demandée, soit à l'un des programmes concernés des Communautés européennes, soit au programme des bourses de formation de l'INSERM. S'agissant de thèses préparées dans des laboratoires français, la candidature à des postes d'accueil INSERM représentera sans doute la solution la plus avantageuse. Dans la mesure où les Comités d'interface entre les sociétés médicales et l'INSERM jouent un rôle déterminant dans la distribution de ces postes, le choix des représentants des sociétés de psychiatrie dans ces Comités est important.

b Une restructuration de la recherche psychiatrique bénéficierait grandement de la possibilité d'offrir des stages post-doctoraux à de jeunes psychiatres. et, à l'inverse, de s'assurer la collaboration temporaire de chercheurs post-doctoraux étrangers. Plusieurs programmes des Communautés européennes (notamment le programme ESPRIT), et, s'agissant d'unités INSERM, la procédure des postes verts peuvent offrir les moyens correspondants.

c) Le choix des sites de formation sera fondamental. Dans un premier temps, il y aura avantage à en limiter le nombre, et à réaliser des expériences pilote portant sur quelques centres formateurs dans des sites soigneusement sélectionnés. Le choix devra tenir compte de la volonté du site (hôpital universitaire ou régional) de protéger le temps de recherche de ses futurs collaborateurs et de favoriser l'intégration de jeunes formés par la recherche en leur assurant un accès satisfaisant à des moyens de recherche. Il serait utile d'envisager que des procédures contractuelles négociées par l'INSERM avec des structures hospitalières prévoient explicitement cette protection du temps recherche, éventuellement en échange d'un dédommagement de l'hôpital ou d'une attribution de poste d'accueil.

Le groupe de travail défini au chapitre précédent, ou les inter commissions concernées, pourraient être appelés à donner leur avis sur le choix des sites de formation, en tenant compte de la nécessaire cohérence entre projets de recherche et projets de formation.

3. Réunifier la psychiatrie au sein des commissions spécialisées de l'INSERM

Le nombre relativement modeste des chercheurs en psychiatrie rend également souhaitable de regrouper l'évaluation de l'ensemble de la recherche psychiatrique au sein d'une seule commission scientifique spécialisée. Signalons à cet égard que la demande d*un tel regroupement à l'occasion du récent redécoupage des CSS a été réglée dans le sens souhaité, la discipline relevant désormais de la compétence exclusive de la CSS n° 10. L'expertise plus marquée et plus homogène de cette commission dans les approches des sciences humaines et sociales, ainsi qu'en épidémiologie devrait lui permettre une meilleure appréciation des objectifs, des méthodes et des habitudes de publication de la psychiatrie. A l'issue des derniers redécoupages des CSS, un petit nombre d'universitaires et de chercheurs ont été maintenus en tant qu'électeurs dans leur CSS d'origine. Cela ne les empêche nullement de demander leur rattachement (cas des chercheurs) ou de présenter des demandes auprès de la nouvelle CSS n° 10.


4. Pour une meilleure information de la communauté psychiatrique

Les services de psychiatrie, qu'ils soient ou non universitaires, ne semblent pas disposer d'une information suffisante sur les procédures d'accès au soutien de l'INSERM et sur la manière dont l'INSERM instruit, évalue et soutient des opérations de recherche. Cette lacune, ainsi qu'une préparation insuffisante à la conception et à la formulation de projets de recherche, a entraîné une forte autocensure par les milieux psychiatriques des demandes qu'ils pourraient présenter à l'organisme.

Les propositions suivantes seraient susceptibles d'améliorer l'information des psychiatres sur leurs possibilités de définir des projets et d'accéder à des moyens de recherche :

- Charger le Comité National Universitaire pour la Psychiatrie (CNUP), qui pourrait jouer un rôle important dans la sensibilisation des psychiatres universitaires, de diffuser des informations sur les procédures éventuellement accessibles à des services de psychiatrie, par exemple en présentant et en commentant le présent document à ses membres.
- Améliorer la communication entre services universitaires et non universitaires d'une région par la création, sous l’égide du CNUP, de clubs régionaux de recherche en psychiatrie. Un des objectifs de tels clubs devrait être le réfléchir à des coopérations régionales dans le domaine de la recherche psychiatrique ; l'INSERM pourrait conseiller les clubs qui auraient défini des projets de coopération, notamment par le biais de la procédure des prestations de services définis au paragraphe III.1.a. ci-dessus.
- Organiser un mini colloque sur les Perspectives de la recherche psychiatrique dans le cadre du prochain colloque d'animation de l'INSERM. Le colloque, auquel devraient être conviés quelques responsables étrangers d'opérations de recherche et les jeunes cliniciens souhaitant s’orienter vers la recherche, aurait pour mission de réaliser un bilan critique des principales orientations et des perspectives actuelles de la recherche en psychiatrie.
- Organiser un atelier (ou une école d'été) destiné(e) à faire le point de quelques outils et techniques nouveaux applicables à la recherche en psychiatrie, notamment dans les domaines de la génétique, de la neuropsychologie, de la neuropharmacologie, de la neuroimmunologie et de l'épidémiologie.

IV. CONCLUSION

L'objectif du groupe de travail n'était évidemment pas de brosser un tableau complet des grandes orientations de. la psychiatrie contemporaine, mais, plus modestement, d'identifier quelques stratégies visant à renforcer l'implication de l'INSERM dans la recherche en psychiatrie. Partant d'une analyse des difficultés conceptuelles et conjoncturelles que rencontre la discipline, il a tenté de formuler des recommandations pragmatiques sur la manière dont pourraient être suscités quelques projets concrets susceptibles de conduire, dans le respect des procédures d'évaluation de l'organisme, au développement progressif de programmes plus ambitieux. L'évolution actuelle de la discipline, l'intérêt de nouvelles voies de recherche explorées dans plusieurs pays, ainsi que l'arrivée à des responsabilités cliniques de jeunes cliniciens motivés et mieux formés à la recherche que ne l'étaient leurs aînés, sont autant de facteurs qui suggèrent que nous nous trouvons dans une conjoncture favorable pour entreprendre sur ces bases un effort de dynamisation de la recherche psychiatrique.


Dernière mise à jour : vendredi 28 septembre 2001 17:38:41
Dr Jean-Michel Thurin