La situation de la santé mentale en France

Un principe de base : la sectorisation psychiatrique

Au congrès de Tours de la Commission des Maladies Mentales, en 1959, la note de synthèse, rédigée par Lucien Bonnafé, énonçait qu’il “ convient de mettre en place une structure fondée sur le territoire au sein duquel les divers moyens concourent à la protection de la santé mentale pour desservir un secteur maximum de 100 000 habitants ”. Cette note formalisait la nouvelle “ doctrine fondée sur la diversité et la continuité des soins, l’extension dans la société du champ de la psychiatrie ”[1] qui avait pris corps dans les années de guerre.

L’organisation du dispositif psychiatrique public et associatif participant au service public repose sur la sectorisation psychiatrique. Elle regroupe l’essentiel du dispositif public, à l’exception de quelques services de psychiatrie implantés en Centre Hospitalier Universitaire (CHU).

Fondée sur les notions d’accessibilité et de continuité de soins, la sectorisation vise à promouvoir une évolution du dispositif de soins sortant d’une logique institutionnelle au profit de prises en charge diversifiées et de proximité, adaptées aux besoins des patients. Les secteurs psychiatriques ont développé une gamme de modalités d’interventions et de soins destinés à répondre aux besoins de santé mentale des personnes adultes, enfants et adolescents, dans un territoire géographique donné. Cette sectorisation a été enviée et reprise parfois. La désinstitutionnalisation "à l'américaine" n'a pas eu lieu. Les structures alternatives se sont développées. Les services sont passés de 150/200 lits à 50 en moyenne; L'évolution vers la communauté devient possible aujourd'hui.

Ainsi, plus d’un million d’adultes ont été suivis par les secteurs de psychiatrie générale en 1999[2] et les secteurs de psychiatrie infanto-juvénile ont, de leur côté, suivi 415 770 enfants.

À côté de l’hospitalisation classique à plein temps et de l’hospitalisation de jour, un ensemble d’autres modes de prise en charge est offert, en ambulatoire (consultations, visites à domiciles) ou par des soins de prise en charge spécifiques à temps partiel (centre d’accueil thérapeutique) ou à temps complet (accueil familial, appartement thérapeutique).

La grande majorité des personnes suivies par les secteurs l’est en ambulatoire : 86 % des adultes et 97 % des enfants ou adolescents en 1999.

Au sein des différentes structures de prise en charge, le suivi en centre médico-psychologique (CMP) est le plus usuel, 73 % des adultes et 92 % des enfants suivis en ambulatoire.

D’après une enquête de morbidité dans les secteurs de psychiatrie réalisée en 1998, les hommes sont relativement plus nombreux à être suivis dans les structures à temps complet : 55 % au lieu de 47 % parmi l’ensemble des personnes suivies. Ils le sont pour des affections comme la schizophrénie (61 % d’ hommes) ou liées à la consommation d’alcool (71 % d’hommes). Les femmes sont relativement plus nombreuses dans les structures ambulatoires (57 % de femmes) pour des pathologies comme la dépression (68 % de femmes) ou l’anxiété (70 %).

L’augmentation des demandes adressées à la psychiatrie

La multiplication des troubles pour lesquels sont désormais interpellées les équipes de psychiatrie, et le nombre des personnes concernées, une sur trois sur la vie entière, en regard d’une organisation institutionnelle qui date des années 1970 et qui n’est plus totalement adaptée aux besoins des patients imposent de refonder la politique de santé mentale et d’en faire une priorité de santé publique.

En effet, si la prévalence des maladies mentales reste stable dans la population (1% de schizophrénies, 15% de dépressions selon les dernières données du CREDES[3]), on observe cependant que le nombre des personnes qui consultent des psychiatres est en constante augmentation, avec par exemple 6 fois plus de dépressions déclarées en 30 ans, que le taux de suicides n’a pas diminué jusqu’en 1998, que les troubles de la personnalité les plus graves nécessitent d’être pris en charge.

Le nombre de personnes suivies a donc considérablement évolué, que ce soit dans le dispositif public ou privé (17% d’augmentation chez les libéraux depuis 1992 et 46% dans le secteur public[4]). D’autre part, un quart des patients qui consultent en médecine générale présentent des troubles mentaux[5]. Les affections psychiatriques étaient en 1998 au premier rang des causes médicales à l’origine d’une attribution de pension d’invalidité, avant l’arthrose et les tumeurs malignes[6]. Ces affections concernaient 13.591 personnes, soit 26,7% de l’effectif. Parmi elles, près de 11% de l’effectif total souffraient d’état dépressif ou de troubles névrotiques, et 6% de psychoses.

Aussi, s’il reste difficile de mesurer les besoins en santé mentale, et si cela doit constituer un axe à développer, un certain nombre d’éléments concordent pour affirmer la place tenue par les problèmes de santé mentale dans notre pays.

Une offre de soins importante mais mal répartie

1.                      Les structures de soins

Globalement, l’offre de soins psychiatriques est prépondérante dans le secteur public et faisant fonction de public[7] , mais inégalement répartie selon les départements. La  transition d’une offre de soins, où l’hospitalisation complète était le mode de prise en charge principal, vers davantage de soins ambulatoires (sans hébergement) – c’est-à-dire d’un modèle traditionnel vers un dispositif de soins de proximité, fondement de la politique de sectorisation élaborée dans les années 1960 – n’apparaît pas achevée dans tous les départements

1.1.                  Une prépondérance générale du secteur public

Plus de 80 % des lits et places en psychiatrie dans les établissements de santé publics

En psychiatrie, le secteur public occupe une place prépondérante : il détient plus de 70 % des lits et places dans 81 départements dont 23 disposent d’une offre exclusivement publique.

En 1997, sur un total de 71 280 lits d’hospitalisation complète, 80 % se trouvent dans les établissements de santé publics : 50 % dans les centres hospitaliers publics spécialisés en psychiatrie, 12 % dans les hôpitaux psychiatriques privés (HPP) et 19 % dans les services de psychiatrie des établissements de santé publics non spécialisés en psychiatrie.

De la même manière, mais plus nettement encore que pour les lits d’hospitalisation complète, les places d’hospitalisation partielle sont concentrées dans le secteur public. C’est le cas de 89 % des 27 050 places offertes en hôpitaux de jour et de nuit. Les CHS en rassemblent 54 %, les HPP 9 %, et les services de psychiatrie des hôpitaux généraux près de 26 %.

Des capacités d’hospitalisation réduites en psychiatrie infanto-juvénile

La répartition des capacités en lits et places est inégale entre la psychiatrie générale et la psychiatrie infanto-juvénile, qui s’adresse aux moins de seize ans. Alors que 67 % des places d’hospitalisation partielle et plus de 95 % des lits d'hospitalisation complète sont réservés à la psychiatrie générale, seules un tiers des places d'hospitalisation partielle et 5 % des capacités d'hospitalisation complète vont à la psychiatrie infanto-juvénile. Ces faibles capacités sont d’autant plus marquées que les enfants et adolescents suivis en psychiatrie infanto-juvénile représentent plus de 26 % de l’ensemble des patients suivis par les secteurs. La part du secteur privé est plus importante en hospitalisation partielle pour la psychiatrie infanto-juvénile.

Ces différences résultent à la fois d’un nombre de lits d’hospitalisation complète historiquement plus faible en psychiatrie infanto-juvénile et du développement de modalités privilégiant des prises en charge des enfants et des adolescents dans les structures de proximité : en ambulatoire (consultations, visites à domicile) ou à temps partiel (Centres d’accueil thérapeutique à temps partiel).

En ce qui concerne spécifiquement les établissements de santé, publics ou privés, la psychiatrie représente 21% du total des lits, et uniquement 5% des entrées totales, mais 80% des places d’hospitalisation partielle et 73% des admissions en hospitalisation partielle. Elle emploie une part relativement plus importante de personnel non médical puisqu’elle mobilise 33% des effectifs des infirmiers affectés aux soins de courte durée. Les psychiatres représentent, quant à eux, 13% de l’ensemble des médecins spécialistes à l’hôpital et en ville.

Nombre de lits en hospitalisation complète en psychiatrie en 1997

 

PUBLIC

CHS

CHG

HPP

Psychiatrie

Répartition en %

Psychiatrie

Générale (adultes)

Infanto-juvénile

35 727

13 284

8 378

50.1

18.6

11.8

34 479

12 624

8 191

1 248

660

187

Part du public sur l’ensemble en %

 

80.5

 

 

PRIVE

Cliniques + foyers de post-cure

SP privés

13 184

707

18.5

1.0

12 904

609

280

98

Part du privé sur l’ensemble en %

 

19.5

 

 

Total Public + Privé

71 280

100.0

68 807

2 473

 

Champ : France entière   -   Source : DREES, SAE 97

Forte évolution des capacités d’hospitalisation dans le public, stabilité dans le privé

Entre 1990 et 1997, dans le secteur public, l’évolution des pratiques de prise en charge s’est traduite à la fois par une augmentation du nombre de places d’hospitalisation partielle (+25 %) et par une forte baisse du nombre de lits d’hospitalisation complète (-32 %). La hausse des capacités d’hospitalisation partielle (+ 4.861) n’a toutefois pas compensé la diminution des lits d'hospitalisation complète (- 26.711), d’où un recul de la capacité totale en lits et places de 21 % sur sept ans. Ceci s'accompagne d'un très fort accroissement de l’activité des secteurs psychiatriques, avec une augmentation de 46 % des patients suivis en psychiatrie générale entre 1989 et 1997 et de 48 % des enfants et adolescents suivis en psychiatrie infanto-juvénile entre 1991 et 1997.

Globalement, de 1990 à 1997, la part de la capacité totale en lits et places du secteur public a donc légèrement diminué, passant de 86 % à 83 % . En revanche, dans le secteur privé, la capacité en lits comme en places a peu varié.

1.2.                  Des disparités départementales marquées dans l’offre de soins

Les écarts de capacité en lits et places varient de 1 à 9 selon les départements

La moyenne nationale des capacités d’accueil pour 100 000 habitants en psychiatrie est de 165 lits et places cumulés. Cette capacité est extrêmement variable d’un département à un autre, puisqu’elle s’échelonne d’un minimum de 69 dans les Hauts-de-Seine et de 78 dans le Loiret à 481 dans la Haute-Saône et même 702 en Lozère.

Les départements les mieux équipés,  en matière d’hospitalisation complète et partielle,  ne sont pas les mêmes

En psychiatrie générale, la moyenne nationale en hospitalisation complète est de 155 lits pour 100 000 habitants de 20 ans et plus. Ce chiffre masque une forte variabilité puisqu’on observe un écart de 1 à 10 entre les extrêmes : 5 départements disposent de moins de 100 lits pour 100 000 habitants de 20 ans et plus alors qu’à l’autre extrême, 11 départements ont une capacité supérieure à 250 lits pour 100 000 adultes.

En hospitalisation partielle, la moyenne nationale est de 42 places pour 100 000 habitants de 20 ans et plus. On constate là encore le même écart de 1 à 10 entre les valeurs extrêmes, allant de 9 places pour 100 000 habitants dans la Marne à 123 pour 100 000 habitants dans la Haute-Vienne. Un peu plus d’un quart des départements ont moins de 30 places pour 100 000 habitants de 20 ans et plus.

Cette variabilité comparable n’implique pas qu’il y ait cumul ou substitution systématiques entre les types d’offres de soins : les départements les mieux dotés en lits d’hospitalisation complète ne sont pas forcément les plus, ni d’ailleurs les moins, dotés en places d’hospitalisation partielle.

Le double mouvement de réduction globale des capacités d’accueil en hospitalisation complète et d’accroissement des places en hospitalisation partielle, observable au plan national, ne semble donc pas s’être produit de façon uniforme au niveau départemental.

Des disparités encore plus fortes pour la psychiatrie infanto-juvénile

En psychiatrie infanto-juvénile, la situation apparaît encore plus hétérogène puisque 17 départements n’offrent aucun lit d’hospitalisation complète. Même si ces départements ont plus ou moins développé des modalités de prise en charge alternatives, cette absence totale de capacités peut poser problème pour répondre aux besoins de certains patients. De plus, les écarts en matière d’hospitalisation partielle sont de l'ordre de 1 à 20 (de 8 places pour 100 000 habitants de moins de 20 ans dans l’Ain à 187 en Lozère).

2                       La démographie professionnelle

2.1                   Les psychiatres

La France présente un des taux de psychiatres les plus élevés au monde, de 23 pour 100 000 habitants (Après la Suisse et les Etats-Unis). Il y a ainsi aujourd’hui en France plus de 12 000 psychiatres, ce qui est 4 fois plus qu’il y a 30 ans. Plus de la moitié (54 %) exercent dans le secteur libéral et 46 % sont salariés. Parmi les libéraux, 30 % exercent une activité hospitalière contre 88 %

parmi les salariés. Là aussi de forts écarts entre départements existent, selon une échelle qui varie de 1 à 4 hors Paris[8] . Paris apparaissant à cet égard comme un des extrêmes puisque la densité y est de 80 psychiatres pour 100 000 habitants, soit 4 fois plus que la moyenne nationale !. Malgré cela, plus de 10% des postes du secteur public ne sont pas pourvus en France.

L’évolution de la démographie médicale laisse prévoir une diminution de 13254 à 7856 du nombre des psychiatres d’ici à 2020.

 

Evolution des effectifs de psychiatres et neuro-psychiatres libéraux

 

 

1993

1994

1995

1996

1997

1998

TCAM*

93-98

Evol

97-98

Total

Secteur1

Secteur 2

DP

Libéraux exclusifs

Libéraux + salariés

Libéraux+sa. Hopital

HTP**

6384

4677

1399

286

3088

1789

1255

252

6478

4770

1427

263

3146

1796

1276

260

6587

4877

1448

244

3185

1813

1313

276

6613

4909

1471

218

3206

1805

1325

277

6602

4904

1487

192

3203

1783

1344

272

6579

4905

1485

171

3175

1790

1345

269

+0.6%

+1.0%

+1.2%

-9.8%

+0.6%

+0.0%

+1.4%

+1.3%

-0.3%

+0.0%

-0.1%

-10.9%

-0.9%

+0.4%

+0.1%

-1.1%

*Taux de croissance annuel moyen

**Hospitaliers à temps plein

 

Evolution de l’activité des psychiatres et neuro-psychiatres libéraux

 

 

1993

1994

1995

1996

1997

1998

TCAM*

93-98

Evol

97-98

Total Psychiatres

C+CNP(en miliers d’actes)

V(en milliers d’actes)

K+KE+KC (en mill.actes)

13 838

79

989

14 053

74

974

14 540

69

940

15 222

61

880

15 727

52

392

16 356

50

140

+3.4%

-8.7%

-32.4%

+4.0%

-3.6%

-64.3%

 

Il y a une quasi stagnation du nombre de psychiatres libéraux entre 1993 et 1998. Par contre, le nombre d'acte a augmenté de 3,4 % en moyenne par an, soit 20 % en 5 ans.


 

 

Ce schéma montre (colonne de gauche) quelle pourrait être la répartition actuelle de l'offre de soin spécialisée si l'on tenait compte de critères sociaux (nombre de personnes recevant l’Allocation Adulte Handicapé (AAH) ou le Revenu Minimum d’Insertion (RMI) par département) et, (colonne de droite) dans une évaluation à 15 ans, de l'offre avec 8800 psychiatres en tenant compte des mêmes paramètres. La situation deviendrait rapidement invivable si on garde les mêmes répartitions géographique et public/privé.



[1] Mignot

[2] DREES “ L’offre de soins en psychiatrie : des “modèles” différents selon les départements ”, Études et Résultats n° 48, janvier 2000.

[3] CREDES “ Prévalence et prise en charge médicale de la dépression en 1996-1997 ” Bulletin d’information en économie de la santé, n°21, septembre 1999

[4] DREES, ibid cit

[5] Données OMS – “ Mental Health in General Health Care : an international study ” Wiley Ed. 1995

[6] Etude du département statistique de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie CNAM – Juin 2001

[7] centre hospitalier spécialisé en psychiatrie et services de psychiatrie des hôpitaux généraux) et Hôpitaux psychiatriques privés (HPP) qui sont des établissements de santé de lutte contre les maladies mentales privés participant au service public et habilités à accueillir des patients en hospitalisation sous contrainte.

[8] DREES “ L’offre de soins en psychiatrie : des “modèles” différents selon les départements ”, Études et Résultats n° 48, janvier 2000.

suite


Dernière mise à jour : lundi 9 juillet 2001 17:14:33
Dr Jean-Michel Thurin