Accompagner la mutation par des mesures adaptées

           1.   Répartir les personnels entre l’hospitalisation temps plein d’une part, les soins ambulatoires et d’insertion d’autre part, selon une proportion de 40/60.

Cette nouvelle répartition amènera un développement considérable des soins dans la communauté.

2.    Prévoir un moratoire sur les projets d’investissements lourds sur les sites des anciens CHS

 

Un moratoire sur les projets d’investissements lourds sur les sites des anciens CHS est indispensable dans cette nouvelle politique d’implantation des structures de soins.

 

Les investissement dans la restauration des locaux sur l’historique lieu asilaire ont le mérite de rendre propre ces locaux mais renforce le système concentrationnaire. Cette politique se fait au dépend des structures et activités thérapeutiques dans la communauté, dotées de moyens insuffisants par contre coup. Toutefois, il faut faire la différence entre les investissements concernant l’entretien nécessaire de locaux qui se dégradent et les investissements lourds pour rénovations importantes concernant des locaux destinés à des usagers pouvant être “ relogés ” dans des petites structures localisées dans la communauté.  Dans ce derniers cas il paraît opportun de revoir les objectifs de ces investissements et de les attribuer à des projets dans la communauté pour les personnes qui sont actuellement dans les bâtiments intra-hospitaliers.

 

Les réinvestissements des sommes dégagées se feront directement dans les alternatives (“ l’humanisation par retour dans la communauté ”), dans les hospitalisations sur le secteur, dans le social. Cette domiciliation dans la communauté n’évoluera pas vers une ségrégation en psychiatrie aiguë et une psychiatrie chronique à la condition que tous les soignants (dans une programmation par territoire) prennent en charge les soins de ces personnes dans leurs nouveaux lieux de vie.

 

3.  Implanter toutes les structures de soins gérées par le STP, dans la zone géographique desservie par chaque secteur

(Comme cela est décrit plus haut)

Cette planification est intimement liée à la protection des ressources dégagées par la fermeture des lits de psychiatrie (tels qu’actuellement). Tous les pays qui se sont engagés dans cette voie l’ont fait en réorganisant les hôpitaux et en transférant les moyens dans la communauté. Il faut que les budgets suivent les usagers et soient utilisés à développer  le potentiel de l’offre sanitaire, avec obligation en ce cas de dégager clairement de nouvelles ressources affectées à des politiques ou des programmes annuels. Ces options conditionnent la faisabilité de toute politique.

4.    Prévoir impérativement un moratoire sur les projets de remplacement des services de psychiatrie par des structures médico-sociales et sociales sur site.

 

Nous sommes absolument opposés au remplacement des anciens “ ghettos psychiatriques ” par les “ nouveaux ghettos sociaux ” (créés par concentration des Maisons d’accueil spécialisés à grande capacité, Foyers à double tarification, foyers d’hébergement, longs séjours, maisons de retraite spécialisées pour telle ou telle population…) sur les sites des anciens asiles.

 

Si, pour de nombreuses raisons, le social et le médico-social n’ont pas jusqu’à maintenant ouvert leurs portes aussi largement aux usagers de la santé mentale qu’aux autres personnes présentant un handicap, cette situation doit impérativement changer. De plus des structures communautaires expérimentales doivent être mises en place pour ces personnes. Ceci éviterait l’effet lourdeur institutionnelle. Les maisons communautaires doivent être ouvertes dans les quartiers et les villes en liaison entre le social, le sanitaire et le psychiatrique (par exemple, maison A. Breton à Faches-Thumesnil). La continuité des soins devra y être assurée comme actuellement cela se fait dans de nombreux appartements ou maisons thérapeutiques. Il faut absolument donner un statut à ce type de lieu de vie municipal articulant à la fois sanitaire et social.

 

 

5      Prévoir, après une période de transition, l’arrêt des admissions dans les sites des hôpitaux spécialisés

Faut-il rappeler qu’il y a bientôt 20 ans le rapport de notre collègue Demay préconisait le “ dépérissement ” des asiles ? Et que Franco Basaglia, à Trieste, pensait l’arrêt des admissions à l’asile comme une étape vers son “ dépassement ”).

Toutefois, cet arrêt programmé des admissions ne peut être décidé, bien entendu, qu’après une (brève) période de transition permettant la mise en place des petites structures d’hospitalisation sur les secteurs.

 

Cette phase pourrait être suivie d’une période suffisante pendant laquelle les patients, toujours hospitalisés dans les anciennes structures, bénéficieraient, à partir de projets de soins individualisés, du temps nécessaire à la mise en œuvre de ces projets dans l’indispensable partenariat avec les secteurs sociaux et médico-sociaux.

 

Cette évolution étalée dans le temps doit éviter tout externement arbitraire et laisser le temps aux personnes et aux personnels soignants de trouver les solutions les plus adaptées et de les mettre en oeuvre. Il ne peut s’agir d’une sorte de psychiatrie à deux vitesses mais de la prise en compte de l’histoire personnelle et institutionnelle de ces personnes et de leur apporter les réponses appropriées.

 

Au total il s’agit d’offrir des prestations de qualité supérieure au service remplacé, et non de reproduire la “ ghettoïsation de l’hôpital psychiatrique ” dans la cité (par exemple en créant des unités d’hospitalisation de taille trop importante).

 

 

Réformer les modalités de l’obligation de soins psychiatriques

1.    Instaurer une loi déspécifiée pour l'obligation de soins psychiatriques

 

Le projet de loi de modernisation du système de santé propose quelques aménagements de la loi du 27 juin 1990 :

§       limitation des HO aux cas d’atteinte "grave" à l’ordre public et à un état nécessitant des soins ;

§       légalisation des sorties accompagnées de courte durée (inférieures à 12 heures) ;

§       renforcement de la composition de la Commission départementale des hospitalisations psychiatriques (un médecin généraliste et un usager) ;

§       encadrement des ordonnances de placement des mineurs en établissement psychiatrique après avis médical pour 15 jours renouvelables sous conditions précises.

 

Nous pensons qu’il faut aller plus loin qu’un toilettage de la loi et envisager l’abrogation de la Loi de 1990 sur les soins sous contrainte. L’hospitalisation d’office et l’hospitalisation à la demande d’un tiers seraient supprimées. Une période d’observation et de soin de 72 heures serait instaurée, afin d’évaluer la nécessité de soins.

Il ne s’agit pas là de confondre traitement obligatoire[1], et obligation de soin, de même nous pensons que ces soins ne doivent pas être réduits à une simple réponse hospitalière.

L’obligation de soigner s’applique d’abord aux médecins, aux équipes de soin, à l’Etat, dans le cadre du droit constitutionnel à la santé, dans la dialectique entre la santé pour tous et le meilleur état de santé pour chacun.

L'obligation de se soigner s’adresse à une personne, sujet et citoyen, dans sa parole et dans son vouloir. L'obligation de se soigner est un moment dans les méandres de cette personne, qui laisse pleine place à sa subjectivité, à son histoire, aux droits et devoirs, à la négociation (sur les lieux, les modalités, les engagements et obligations, ...). L'obligation de se soigner est un parcours et une expérience partagés.

L’intervention thérapeutique auprès d’une personne hors d’état de donner son consentement est d’abord nécessaire. Elle n’est obligatoire qu’en référence à l’ “assistance à personne en danger ”. Elle est éthiquement nécessaire et légalement obligatoire. Certains estiment que l’ “ événement social ” que représente une obligation de soins nécessite une certaine “ symbolisation ” ou un “ témoignage ”, que la judiciarisation pourrait, au moins en partie, faire.

 

 

Dans cette optique nous nous replaçons également dans le droit commun (cela peut concerner toutes sortes de personnes dans des circonstances diverses et pas seulement les malades mentaux). Il n’y pas alors de réglementation ou de loi spécifique à mettre en place.

Une loi déspécifiée pour l’obligation de soin s’impose. Le niveau d’acceptation des soins devrait être apprécié par le médecin au regard de son obligation de soigner et confirmée ou non par le juge, au regard de l’application des lois et donc des droits des citoyens.

La distinction entre danger pour soi et autrui permettrait  de ne plus confondre l'obligation de soin et l’ordre public. Cette modification de la loi  s’inscrit dans une évolution qui paraît inéluctable et qui aurait l’avantage de resituer le système français dans le droit européen.

Nous souhaitons une vraie loi sanitaire laissant l’initiative aux médecins, dans le cadre des pouvoirs décentralisés, sous la garantie effective et de proximité, de la Justice.  En effet, le juge est le seul garant du respect des libertés individuelles et du respect des procédures de l’obligation de soin qui s’apparente tout de même à une perte de liberté constitutionnellement du ressort du pouvoir judiciaire (juge au civil pour la protection des majeurs et des mineurs).

Cette loi devrait cependant veiller à son champ d’application et éviter sa généralisation à des domaines jusque-là préservés, à tout ce qui peut être jugé “ comportement malade ” (un malade atteint du sida qui refuse de se soigner, ou un malade qui refuse les transfusions sanguines par conviction religieuse ou, pourquoi pas, un patient psychiatrique qui refuse un traitement comportementaliste, psychothérapique ou médicamenteux). Elle doit donner lieu à un balisage sévère dans le conflit pouvant exister entre obligation de soin et libertés individuelles.

Nous reprenons, ci-dessous, et faisons notre le cadre de présentation et une partie des propositions présentées par le bureau de la santé mentale de la DGS lors de nos réunions de travail :

 

 

2                       Mettre en place une nouvelle organisation de l’obligation de soin

Cette loi déspécifiée s’appliquerait à toute personne dont les troubles nécessitent des soins immédiats et constituent un danger sanitaire pour elle-même et/ou pour autrui et qui refuse ou est empêchée de consentir à ces soins.

 

Le circuit de pris en charge serait alors le suivant :

La personne est transférée aux urgences de l’hôpital général le plus proche.

 

La question du transport des personnes jusqu’à l’hôpital doit être envisagée. Il devrait être de la responsabilité de l’établissement hospitalier, siège des urgences, d’organiser, de coordonner avec les différents services concernés (police, pompiers, Samu, ambulances privées) le transport des personnes de l’origine de l’appel jusqu’au service des urgences. Un certificat détaillé et motivé d’un médecin demandant le transport obligatoire, permet de ce fait l’intervention des services de police si nécessaire, jusqu’aux urgences, est remis au directeur de l'établissement Le certificat est adressé au Préfet et au Maire si l'intervention des forces de l'ordre est nécessaire.

 

Le Centre d’Accueil Intersectoriel (CAI) situé à proximité immédiate du service des urgences de l’hôpital général et la présence dans ce centre, 24h/24, de membres des équipes des secteurs du bassin de santé permet d’y accueillir toute personne transférée.

 

Une période d’observation et de soins de 72 heures (3 jours) maximum commence alors. Cette période permet, en situation de crise, d’instaurer un temps de recul comme règle générale, et non comme exception, pour les  soignants comme pour le patient, avant de prendre une décision d'obligation de soins ou non.  Attendre un peu et voir, ne pas se précipiter, prendre ensemble le temps d’évaluer tout en commençant les divers formes de traitement (psychothérapie, chimiothérapie…). Il ne s'agit en rien d'une "garde à vue" psychiatrique mais bien de permettre la mise en acte de soins véritablement adaptés à une personne dans une situation donnée. Nous ne sommes donc pas sur la ligne de la loi anglaise de 1983.

 

Doit être évoquée l’action d’une “  personne de confiance ”, des associations agréées d’usagers, d’un adjoint au médiateur de la République chargé des affaires de santé mentale et, peut-être aussi (à la suite des lois anglaise et écossaise), de la création d’une commission indépendante de suivi de la loi. Les CDHP (dont les compétences résultent notamment de l’article L 332-3 du CSP) ne sont qu’un ersatz de commission indépendante, aux pouvoirs d’investigation, de contrôle et de décision modestes et dont la fréquence des interventions (environ 2 fois par an) montre les limites.

 

 

Il est évident que dans un tel  système il n’y a plus de place ni de justification pour l’Infirmerie Psychiatrique de la Préfecture de Police à Paris.

Structure policière, donc chargée du maintien de l’ordre, où travaillent des psychiatres et dont il est difficile de trouver la justification de son exception dans le paysage national, autrement que par son lien organique avec cette même exception qu’est l’existence d’une préfecture de police à Paris.

 

La décision d’admission est prise au service des urgences de l’hôpital général par le directeur de l’EPS, au vu d’un  premier certificat médical établi par un médecin non psychiatre appartenant ou pas à l’EPS et d’un deuxième certificat médical établi immédiatement par un médecin spécialiste appartenant à l’EPS. Dans les 24h la décision est transmise au juge et, si nécessaire, au maire et au préfet.

A l’issue de cette période d’observation et de soin d’au maximum 72 heures, un troisième certificat médical pose l’indication future :

§       sortie (pas de traitement),

§       traitement libre (hospitalisation ou soins ambulatoires au choix de la personne)

§       obligation de soin si l’état de santé de la personne nécessite des soins ou si elle ne peut donner son consentement.

 

Au fil de cette procédure, toute personne ayant intérêt peut faire recours auprès du juge, éventuellement assistée d’un avocat.

En cas d’obligation de soin, à l’issue des 72 heures, le troisième certificat médical circonstancié pose l’indication de l'obligation de soin, avec les avis souhaitables de la personne, de l’entourage ou d’un travailleur social. La décision est transmise au juge qui statue dans les 24heures et au préfet et au maire si nécessaire. Pendant ces 24 heures, la personne est maintenue en hospitalisation.

Les obligations de soin peuvent prendre deux modalités :

§       Soins ambulatoires : si l’état de la santé de santé de la personne nécessite des soins susceptibles d’être apportés en ambulatoire, la personne choisit avec le médecin les modalités qui seront animées par d’autres soignants. La mesure est révisée périodiquement et éventuellement renouvelée après un mois.

§       Soins en hospitalisation : si l’état de santé de la personne nécessite un traitement et une surveillance permanente et continue. La mesure est révisée périodiquement et éventuellement renouvelée au bout de 7 jours.

Ces deux modalités de l'obligation de soin peuvent alterner. Ainsi, une personne étant en obligation en hospitalisation et qui voit son état de santé s’améliorer peut passer en ambulatoire ou voir une levée de l’obligation de soins assortie d’un traitement libre ou sans traitement. De même, une personne étant en obligation de soins en ambulatoire et dont l’état de santé s’aggrave, peut nécessiter des soins en hospitalisation. A contrario, son état de santé s’améliorant, cette personne verra la levée de l’obligation et la poursuite ou non d’un traitement libre. Toutes ces mesures sont décidées par le juge civil. Le maire et le préfet sont informés si nécessaire.

Le schéma suivant résume l’ensemble du circuit.

Pour les patients difficiles aux urgences, à domicile, hospitalisés dans les secteurs, hospitalisés en structures publiques ou privées non sectorisées, faut-il encourager le développement des structures intersectorielles fermées comme elles auraient commencé à se mettre en place dans quelques hôpitaux (mais aucune évaluation n’est à ce jour disponible) ? Nous n’y sommes pas favorables car une autre approche de ces patients, dans ces moments-là, comme nous en avons vu des exemples notamment en France, à Birmingham, en Italie et à Merzig en Allemagne, semblerait plus productive.

 

Un certain nombre de secteurs en France propose une hospitalisation sans service fermé. Ces secteurs paraissent avoir privilégié le renforcement en personnels soignants autour des patients plutôt que le renforcement des murs et des clés. Ils affirment qu’il ne faut pas confondre obligation de soins et enfermement. Dans ces services, on considère généralement les personnes sous contrainte comme en obligation de soin . Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de contrat de soins. Au contraire, quand les portes sont ouvertes, le personnel doit être beaucoup plus présent. Cela nécessite bien entendu “ des hommes à la place de murs ”[2]..


 



[1] Hubert Mignot dans le Livre Blanc de la psychiatrie française de 1963 en signalait le caractère “ exorbitant ”

[2] Comme ne cesse de le dire le Dr Lucien. Bonnafé



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Dernière mise à jour : jeudi 6 septembre 2001 17:11:27
Dr Jean-Michel Thurin