Les administrations

Le déploiement de la psychiatrie vers le champ de la santé mentale se fera avec les administrations

Le constat

1.    La planification est complexe, les outils d’aide à la décision sont inadaptés

1.1                   Une planification complexe

Actuellement, la programmation hésite entre les différents niveaux géographiques (région, département, État), elle multiplie les documents. La psychiatrie ne bénéficie pas toujours d’un soutien important des services déconcentrés de l’État ; on pourrait dire quelle est devenue, au fil des ans, une sous-planification. La reconnaissance que la santé mentale devrait être un domaine décliné à chaque niveau  (Etat – région – département – local) n’a jamais été fait et assurerait pourtant des cohérences entre décideurs.

Le peu d’investissement des services déconcentrés est à  rapprocher du problème de la réorganisation des services centraux, dont le fonctionnement en “ tuyau d’orgues ” ne contribue pas à une clarification de la commande mais renforce, là aussi,  la segmentation des problèmes.

Segmentation que l’on retrouve sur le plan des découpages territoriaux : chaque service de l’Etat (sanitaire, médico social, éducation nationale, justice) et des collectivités locales (ASE ; circonscription, coordination gérontologique, centres de secours etc…) dispose d’un découpage différent, découpages auxquels s’ajoutent maintenant les “ Pays ”.

Les professionnels de santé publique de terrain attendent depuis des lustres de voir la DATAR, l’INSEE ou le Commissariat général au Plan, proposer à l’ensemble des partenaires des zonages géographiques qui pourraient être communs à tous les intervenants en s’emboîtant les uns dans les autres de l’aire la plus petite à la plus grande.

Les schémas régionaux d’organisation sanitaire (SROS) distinguent les activités de Médecine-Chirurgie-Obstétrique (MCO) de la psychiatrie. Même si l’on peut noter un frémissement avec l’adoption récente de quelques SROS de deuxième génération unifié. L’espace sanitaire régional, tout comme les territoires pertinents ou bassins de santé, militent pour une planification régionale. L’unicité du SROS (MCO, psychiatrie) gagnerait alors en cohérence.

 

Les services de l’État mettent toujours en avant la planification MCO et lui  attribuent hommes et compétences. Souvent, les autres planifications sont effectuées de surcroît. Ici, il faut clairement établir les responsabilités, la même exigence de service public, la même formation des acteurs et des responsables. C’est aussi un engagement de ces professionnels qui permettra un changement institutionnel dans l’appareil de l’État.

La planification de l’offre de soins psychiatriques souffre également d’une carence majeure d’articulation avec la planification médico-social.  Dans ce domaine, la situation est relativement semblable. Pour les prises en charge par le médico-social, sans plans et sans programmes articulés tout peut être fait, y compris le pire, c’est-à-dire la confusion des genres et les créations de “ structures dépotoirs ” ou de “ nouveaux ghettos sociaux ” ? (MAS, Foyer à double tarification etc).

Il en va de même pour la cohérence des Plans Régionaux d’Accès à la Prévention et aux Soins (PRAPS), (toutes les régions, sauf une, ont placé la Santé Mentale en priorité dans leurs dispositifs), des Conférences de Santé et des SROS.

Tout se passe comme si les conducteurs de ces travaux (DGS-DHOS-DGAS) poursuivaient parallèlement des objectifs parfois identiques et parfois divergents. Or, il existe depuis 1998 dans chaque région un comité régional des politiques de santé où se retrouvent notamment les services de l’Etat, les collectivités territoriales et les organismes d’assurance maladie. C’est en principe une instance de concertation, de suivi et d’évaluation des priorités de la conférence régionale, du PRAPS et des autres programmes régionaux de santé. La question est de savoir si leur efficacité a été évaluée : ces comités  remplissent-ils pleinement leurs missions et impulsent-ils des actions ?

1.2                   Des outils de planification inadaptés

Plusieurs groupes de travail coordonnés par la Direction des Hôpitaux et de l’Offre de Soins tentent depuis bientôt dix ans, d’élaborer un programme de médicalisation du système d’information (PMSI) adapté à l’activité des services de psychiatrie. Les échéances de test et de mise en application sont sans cesse repoussées, les concepteurs eux-mêmes doutant de la pertinence de l’outil qu’ils continuent pourtant de développer.

On peut s’inquiéter des carences massives du plan de communication qui accompagne actuellement la mise en œuvre de ce PMSI-Psy qui est chargé d’autant de fantasmes qu’il est obscur, centré sur l’hospitalisation temps plein, beaucoup trop bureaucratique dans sa mise en acte, favorisant et renforçant les réponses hospitalières, au détriment du travail en réseau et n’évaluant pas l’offre de soin associative et “libérale”.

Le risque déjà annoncé et prévu est que cet outil permettra de mettre en évidence des "profils" d’établissements et des écarts par rapport à une moyenne. Il ne permettra peut-être pas de déterminer quel est le “ bon profil ” pour répondre aux besoins de prise en charge en matière de santé mentale aujourd’hui. D’une certaine façon le PMSI-Psy paraît à beaucoup de professionnels comme un “ contre sens ” et une modalité “ impertinente ” de recueil de données.

Au-delà d’un classement des établissements “ chers et pas chers ”, les informations recueillies par le PMSI-Psy permettront au mieux de mettre en évidence le fait que les prises en charge sont très différentes, pour des patients aux caractéristiques semblables. Mais ces résultats ne sont-ils pas déjà connus ? En effet, on sait déjà que, selon les secteurs, des patients sont en hospitalisation complète, d’autres en hôpital de jour, quasiment à temps plein, d’autres en hôpital de jour séquentiel, en CMP prolongé, d’autres dans le secteur médico-social, et les psychiatres avouent que “ce sont les mêmes”. Le PMSI va donc dire que ces "mêmes" patients sont tantôt ici et tantôt là, selon les services et les secteurs. On peut à juste titre se demander si la montagne ne va pas accoucher d’une souris.

Il faudra obligatoirement passer par un outil pertinent d'évaluation des pratiques des STP et RTSM. Cet outil devra être basé sur le dossier du patient qui doit recueillir l'ensemble des actes de soin le concernant.

L’activité d’un service n’est pas corrélée avec son effectif de personnel. Mais pour que le débat s’engage, il faut tout connaître et garantir la transparence dans les équipes soignantes et à l’extérieur. C’est le préalable à l’égalité des français devant les soins.

 

2.    La politique de sectorisation psychiatrique n’a pas été menée à son terme

 

Les stratégies de soin en santé mentale s’inscrivent dans la dynamique plus vaste des évolutions sociologiques et donc dans l’action politique au sens strict d’ “ ensemble des options prises collectivement ou individuellement par le gouvernement d’un Etat ou d’une société ”[1]

L’absence de dispositif de secteur réellement intégré dans la communauté (ce qui est le cas de la majorité des secteurs existants), témoigne de la carence conjuguée de volonté politique et professionnelle à le réaliser, au profit d’un hospitalocentrisme dominant.

La décision politique de confier la gestion du secteur psychiatrique à l’hôpital, en 1986, est de ce point de vue une date historique de remise en cause des principes de la sectorisation, comme de toute autre forme de véritable psychiatrie communautaire.

 

Cette décision n’a pas permis de réaliser le but poursuivi par ceux qui l’avaient pensé au moment de l’élaboration de la politique de sectorisation à savoir : transférer le budget des sites hospitaliers vers la communauté.

Il faut situer la Santé Mentale dans la dynamique générale d’intégration, d’inclusion et tourner le dos à la dynamique ancienne de la psychiatrie qui participait des stratégies d’exclusion. Notons que là où les acteurs l’ont voulu , avec quelle énergie, l’intégration dans la communauté a été réalisée. Mais les expériences en France se sont souvent bornées à des réalisations très partielles, trop souvent dépendantes de l’engagement d’une ou deux personnes motivées. Le secteur privé associatif s’est la plupart du temps glissé dans les niches laissées en friches par le secteur public, sans en changer son fonctionnement, aggravant en cela l’éloignement du dispositif psychiatrique de la communauté urbaine. La rupture avec cette perspective gestionnaire, administrative et technicienne, impose de nouvelles organisations. Il faut déplacer le centre de gravité de ce système de l'hôpital vers la cité.

Cependant, aujourd’hui, ce cours de rupture avec les stratégies de discrimination, de ségrégation, d’exclusion se heurte à plusieurs réalités politiques majeures :

§       la gestion du dispositif dans la conception des logiques hospitalières donne à l’administration des hôpitaux le pouvoir de conforter souvent le secteur comme une excroissance de l’hôpital - l’extra-hospitalier - et non d’administrer le secteur comme le gérant, l’organisateur et le garant (avec la place des usagers et de leurs associations !) d’une psychiatrie ouverte à la ville et centrée sur la personne (sa singularité, son parcours et son environnement) ;

§       l’instrumentalisation des sentiments d’insécurité de la population se retrouve en  psychiatrie par la volonté de continuer à lui faire jouer un rôle sécuritaire important ; les patients sont donc abordés comme porteurs de danger social (troubles de l’ordre public et à la sécurité des personnes ; nuisances par leur être “ a-social et déviant ” et leur maladie, ...).

§       Enfin, le point de résistance majeur à la réalisation complète de la politique de sectorisation est le frein serré que représente la survivance des concentrations psychiatriques hospitalières, toujours installées dans les lieux des anciens asiles de la fin du 19ème siècle, qui ne peuvent, car ce serait contre nature, programmer de l’intérieur leur transformation institutionnelle.  Presque tout les en empêche :

ü      la tradition asilaire qui est attachée à l’histoire de ces institutions ;

ü      l’impréparation de l’opinion publique et la stigmatisation encore très forte qui colle à la personne dite “ malade mentale ” ;

ü      les formations hospitalo-centriques de tous les personnels (administratifs, médicaux et non médicaux) qui sont mal préparés pour envisager leurs pratiques professionnelles dans les perspectives d’évolution dynamique qu’imposent les missions de santé mentale ;

ü      les fonctionnements hiérarchiques figés, issus directement du fonctionnement asilaire et de la tradition mandarinale hospitalo-universitaire ;

ü      la tendance actuelle au repli derrière les différents statuts professionnels, la technocratisation et la hiérarchisation nocives qui aboutit à des clivages dans l’équipe pluri-professionnelle et à la sous-utilisation des plus nombreux acteurs du soin : les infirmiers ; 

ü      la part grandissante de la population en situation de précarité et l’état de suffocation des acteurs sociaux (dont les dispositifs sont pour le moins difficile à décrypter) ;

ü      la méfiance historique de ces acteurs sociaux face à la psychiatrie (corrélée à la stigmatisation et à l’exclusion qui s’attachent aux personnes ainsi qu’à la frilosité du travail ambulatoire) qui se double d’une méconnaissance de ses évolutions, le tout entretenu par les malentendus plus ou moins volontairement mis en avant par certains professionnels des deux champs ;

ü      l'assimilation systématique des troubles du comportement aux troubles mentaux ;

ü      l’augmentation croissante des demandes d’hospitalisation du fait d’urgences surchargées, du recours parfois abusif aux internements, favorise le repli dans l’hôpital et parfois amène à des demandes paradoxales de réouverture de lits dans les secteurs ;

ü      la réticence des élus locaux à mettre en œuvre ce changement de fonctionnement des CHS, pour des raisons d’aménagement du territoire, de craintes pour l’emploi ou dans un souci purement clientéliste ;

ü      l’extrême rigidité de notre société qui sait très bien empiler les réponses en strates figées et est incapable de faire évoluer ces réponses et encore moins de supprimer celles qui se révèleraient inadéquates quand ce n’est pas inopportunes.

 

Pourtant, il n’y a aucun argument scientifique, thérapeutique, éthique, économique, social au maintien des hôpitaux psychiatriques dans le monde[2].

 

3.    Le système de soins psychiatriques fonctionne à plusieurs vitesses

La tendance actuelle du système psychiatrique français est orientée vers un éclatement des dispositifs de soin en Santé mentale avec :

3.1                   Une offre libérale pour les classes moyennes et aisées

Une médecine psychiatrique qui reçoit préférentiellement les classes aisées qui s’adressent à la psychiatrie “ libérale ” (nous mettons entre guillemets pour souligner la particularité de ce privé à but lucratif, qui est financé essentiellement par les deniers publics, par le biais des remboursements de la Sécurité Sociale).

Cette offre de soin est  pléthorique et protéiforme à Paris, mais aussi à Lyon, en région PACA et dans d’autres grandes villes universitaires. Cette offre inégale sur le territoire national entraîne des réponses inégales et n’assume que de manière marginale ou individuelle, un rôle dans les actions de santé publique, les soins d’urgence, les pathologies graves. Ainsi, seuls 0,7% des actes des psychiatres “ libéraux ” franciliens sont-ils des actes de prévention[3]. Par ailleurs, la psychiatrie “ libérale ” concerne beaucoup plus les personnes célibataires et divorcées.

Il ne s’agit pas pour nous de méconnaître la gêne afférente aux troubles mentaux dits « mineurs ». Celle-ci est bien réelle et doit être prise en compte car, en terme de santé publique, on sait combien les troubles névrotiques par exemple sont pourvoyeurs de dépressions graves, tentatives de suicides, conduites addictives, surconsommation médicale, arrêts de travail etc. Mais il n’est pas évident que certains troubles psychiques doivent être pris en charge automatiquement ou exclusivement par des psychiatres.

 

3.2                   Une offre publique plus orientée les catégories moins aisées, les pauvres et les démunis

 

La psychiatrie publique qui s’adresse, en théorie, à toutes les populations est le plus souvent utilisée par les catégories les moins aisées, les pauvres et les démunis. Ce sont aussi globalement les personnes les plus gravement atteintes psychiquement et socialement ; et l’on connaît les liens dialectiques entre situation sociale défavorisée et état de santé dégradé. Les relais de la psychiatrie publique avec la psychiatrie “ libérale ” et le champ social sont variables d’un secteur à l’autre et globalement insatisfaisants.

Ailleurs une pratique de la psychiatrie trop expéditive dans les durées de séjour, non articulée à des  pratiques fortes de soins, d’insertion et d’accompagnement dans la communauté, entraîne souvent des phénomènes d’exclusion d’un certain nombre de patients.  Nous voyons cela dans les sorties parfois trop rapides de l’hôpital de patients en souffrance psychique et en situation de détresse sociale.  Ils sont alors orientés dans les structures sociales qui, sans le soutien des équipes de soin, sont rapidement dépassées par la problématique des troubles psychiatriques. A l’inverse les prolongations abusives d’hospitalisations, parfois par absence de réponses sociales adaptées, entraînent également des situations d’exclusion.

La psychiatrie publique, qui couvre en réalité un vaste champ, a été souvent cantonnée ou s’est souvent réfugiée dans la spécificité de soigner les psychotiques, spécificité parfois revendiquée contre l’idée même de psychiatrie ouverte aux questions des souffrances psychiques communautaires. L’expérience montre que les résultats sont limités. Les soins en hospitalisation sont globalement insatisfaisants. La prise en charge de la psychose doit donc être pensée majoritairement hors des structures d’hospitalisation.

La psychiatrie n’est pas une discipline comme les autres.
Le paradoxe qu’elle doit résoudre est de réaliser son intégration tout en assurant le maintien de son identité.

 

3.3                   Une prise en charge sociale des souffrances psychiques des « exclus »

 

Pour les populations les plus exclues, il existe une prise en charge sociale des souffrances psychiques qui entretient des liens ténus avec la santé mentale, quand ils existent. Là encore la situation est variable suivant les zones car il existe ici et là des expériences innovantes et probantes. La demande de travail en commun avec la psychiatrie énoncée par les travailleurs sociaux n’a jamais été aussi grande.

 

Cette tendance à une psychiatrie à plusieurs vitesses ne demande qu’à s’accentuer si l’on ne prend pas les décisions politiques urgentes pour l’inverser, c’est à dire si l’on ne redéfinit pas l’organisation de l’ensemble de l’offre de soin.

Cependant les avancées théoriques, l’évolution des techniques, les résultats thérapeutiques, la volonté de nombreux professionnels, une partie de l’opinion publique, presque tout, depuis un demi-siècle, participe du rapprochement et d’une meilleure intégration entre la psychiatrie et le reste de la médecine (en ce qui concerne les psychiatres libéraux c’est fait depuis longtemps, selon les règles du libéralisme bien entendu).

 

4.    Des erreurs politiques dans la gestion de la sectorisation psychiatrique

 

On peut souligner un certain nombre d’erreurs commises au niveau national, dans l’histoire récente de l’organisation de la psychiatrie de secteur :

§       le défaut, pour ne pas dire l’absence, par les pouvoirs publics, de conduite de la politique annoncée ;

§       le débat, qui est resté un débat de spécialistes, doit en sortir pour impliquer l'ensemble de la société

§       le pouvoir de décision concernant le développement de la sectorisation a été confié aux établissements hospitaliers sous le contrôle des tutelles, d’orientation plus  comptable que santé publique. En effet, si on ne s’arrête pas à quelques exemples isolés rassemblant exceptionnellement des personnalités aux objectifs convergents, le constat n’est pas positif, quel que soit l’établissement hospitalier siège des secteurs de psychiatrie :

ü      Dans les hôpitaux généraux les secteurs qui se sont implantés, avec peu de moyens pour la plupart d’entre eux, ont généralement vu leurs projets et leurs moyens soumis à la concurrence inégale des projets des autres spécialités médicales (chirurgie, radiologie…) ainsi qu’aux logiques hospitalo-centriques qui les fondent. Il suffit pour comprendre de se reporter, par exemple, aux différentes publications issues de l’association PsyGé et aux interventions des professionnels des secteurs de psychiatrie implantés dans ces structures qui décrivent tous des situations de pénurie et de carence dans les possibilités d’offre de soin. 

ü      Dans les centres hospitaliers spécialisés le même constat peut être fait, avec certaines nuances cependant dues à l’absence de concurrence avec les exigences des services somatiques, en raison de la prévalence des logiques hospitalo-centrique et comptable qui sont à la base du fonctionnement de beaucoup de directions et des tutelles (quand elle ne voient pas la psychiatrie comme une réserve de  personnels).

 

Le résultat de tous ces facteurs est un développement inégal des pratiques de soin dans la communauté.
 Il y a là démonstration de l’incompatibilité actuelle entre la logique hospitalière et la logique de développement de la psychiatrie vers le champ de la santé mentale.

 

5.    Une loi d’obligation de soins obsolète

 

Il y a nécessité à revoir la loi de 1990 et nous apportons ici, modestement car le sujet est  d’une extrême complexité, notre contribution à un débat qui devrait précéder l’élaboration d’une loi nouvelle.

Le nombre des soins sous contrainte n’a pas fortement augmenté ces dernières années, passant de 11 à 13% des hospitalisations. C’est beaucoup plus le nombre des hospitalisations qui a augmenté alors que les durées moyennes de séjour continuaient de décroître.

Selon une enquête,  portant sur 80% des départements français, en 1999, 13% des entrées en secteurs de psychiatrie l’ont été sous contrainte[4].

§       46 000 en HDT, dont 14 000 selon la procédure d’urgence (un seul certificat médical), dont 6 400 d’une durée de plus de 3 mois et donnant lieu à 10 262 sorties d’essai ;

§       7.450 en HO, dont 5 000 en urgence par les maires dans le cadre de mesure provisoire, dont 1 900 d’une durée supérieure à 4 mois et donnant lieu à 7 115 sorties d’essai.

Au-delà des chiffres, le sens même de ces soins contraints est à interroger.

En France on identifie toujours, pour les traitements psychiatriques sous contrainte, la notion de danger pour soi-même et celle de danger pour autrui. Pour nous ces deux notions devraient être très nettement distinguées.

 

Le danger pour autrui

La mise en danger d’autrui renvoie à l’ordre public. Cette notion entre dans le cadre des missions de chaque Etat qui doit garantir la sécurité des citoyens par la Loi, les procédures et les moyens pour l’appliquer. Dans un état de droit les citoyens doivent respecter la Loi et ne pas porter atteinte aux personnes et aux biens. La justice et la police sont là pour veiller au respect de ces lois.

Le Réseau Européen des usagers et survivants de la psychiatrie, que nous ne suivons pas, justifie le danger pour autrui tout en refusant la notion de soin obligatoire en cas de danger pour soi et préfère que le placement involontaire en psychiatrie soit une détention argumentée par la dangerosité et non un temps de “ traitement obligatoire ” argumenté par l’état psychiatrique de la personne concernée.

Si, pour raison de dangerosité envers autrui, “ détention ” il doit y avoir, celle-ci ne peut être pensée que dans un cadre pénitentiaire (où des soins peuvent et doivent être apportés) et non pas dans un cadre soignant psychiatrique. On est alors dans le droit commun et il n’y a pas lieu d’inventer des mesures spécifiques pour telle ou telle catégorie de contrevenant.

 

Le danger pour soi

Par contre le danger pour soi-même réfère aux notions de liberté individuelle d’une part et d’assistance à personne en danger d’autre part. Donc à la fois à la justice comme garante de ces droits et à la santé pour les soins. En effet il s’agit avant tout de respecter la liberté individuelle. La société exige également des professionnels de santé qu’ils portent assistance aux personnes en danger pour elles-mêmes (et qui ne sont pas en mesure, pour de multiples raisons, de donner leur accord aux soins).

Cette absence de distinction entre danger pour soi et autrui présente l’inconvénient de confondre les soins obligatoires et l’ordre public, la santé et la justice.

Actuellement cette assimilation, qui concerne uniquement les malades mentaux, est gérée par les préfets qui ont le double pouvoir sanitaire et de police. Il n’est pas souhaitable que cette organisation, désormais unique en Europe, persiste.

 

6.    Une opposition entre logique de soins et logique pénale.

 

En ce qui concerne les soins aux personnes placées sous main de justice, et à la suite des très nombreux ouvrages et rapports parus ces derniers mois, il ne peut être seulement envisagé une simple adaptation de l’offre actuelle des soins spécialisés. La question du sens que donne la société à l’appareil pénitentiaire est au centre de la réflexion. “ Surveiller et punir ” résumait en son temps M. Foucault.

C’est dans la position du naïf que nous pouvons poser la question du sens de la prison. Pourquoi celle-ci se cantonnerait-elle à la part sécuritaire, coercitive, punitive - légitime et importante bien entendu - de sa mission ? Dans cette part d’enfermement des hommes, l’expérience prouve que les cages n’ont jamais appris à vivre, au contraire. L’autre mission essentielle de la prison est de préparer ces hommes à un retour à la liberté dans une perspective, apaisée, d’insertion qui éloigne la tentation de la récidive.

L’évolution fondamentale des orientations, des organisations et des moyens internes au milieu pénitentiaire est un préalable indispensable.

S’il ne suffit pas d’humaniser ou de réhabiliter les locaux, il faut en revanche rendre décentes les conditions de vie des détenus[5]. Le débat doit être national et il est urgent, car la situation actuelle dans les établissements est explosive.

Au Centre de Détention des Jeunes de Fleury Mérogis, la preuve est donnée que des modifications, sans excès, de l’organisation du travail de surveillance ont, en un an seulement, supprimé quasi automatiquement la violence des jeunes détenus. En Suède nous avons visité une prison qui présentait quelques solutions intéressantes. Mais l’on sait que les moyens y sont 6 fois plus importants qu’en France et que 2 surveillants sur 3 sont en fait des éducateurs.

C’est un défi, mais comment ne pas s’y engager ? Des établissements de petite dimension, des conditions sécuritaires adaptées aux différentes personnes détenues et non pas les plus strictes pour tous. Des innovations pour résoudre la contradiction qui transforme les présumés innocents que sont les prévenus, en détenus particulièrement surveillés ; des regroupements semi ouverts seraient novateurs.

L’expérience, issue du cheminement de la psychiatre des anciens asiles vers les hôpitaux puis le travail de secteur,  nous a appris que  le changement de notre regard sur les “ aliénés ” a permis les transformations institutionnelles radicales.


 

6.1  Les limites de l’organisation actuelle

 

L’organisation actuelle des soins psychiatriques aux détenus a montré ses limites et ne doit plus être prise en exemple immuable pour l’évolution future.

6.2. Les soins psychiatriques pour les détenus en prison

 

Les équipes des Services Médico-Psychologiques Régionaux (SMPR) dispensent des soins psychiatriques dans les centrales ou les maisons d’arrêt, auprès des détenus souffrant de problèmes psychologiques. Quand la pathologie psychiatrique devient trop “ lourde ”, le détenu peut être transféré en service d’hospitalisation psychiatrique, sur ordre du Préfet (article D398 du CPP). Il revient alors aux équipes de soins des secteurs ordinaires d’assurer à la fois la garde du détenu et les soins psychiatriques requis.

L'article D 398 du Code de Procédure Pénale transforme obligatoirement l'établissement de soins en établissement d'enfermement... Il présuppose en outre que le soin psychiatrique se fera nécessairement en pavillon fermé, ce qui n'est plus obligatoire depuis la loi n° 90-527 du 27 juin 1990 du Code de Santé Publique, qui fait disparaître toute référence à l'enfermement qui était juridiquement la règle sous l'empire de l'ancien texte du 30 juin 1838."[6]

Si le détenu-patient est violent ou jugé potentiellement dangereux, il peut être transféré en Unité pour malades difficiles (UMD). Toutefois, les UMD n’accueillent que peu de détenus (cf. plus loin).

Le fonctionnement de nombreuses équipes des SMPR, au regard de l’offre de soin proposée, paraît assez restrictif et insuffisamment déployé dans l’espace et dans la durée. Les équipes des actuels SMPR fonctionnent la plupart du temps “ en vase clos ”. Cet isolement se manifeste notamment par l’énorme difficulté à mettre en place les suivis spécialisés après la détention, avec les CMP concernés. Cela se manifeste aussi par des hospitalisations obligatoires (suivant l’article D398), mal préparées, mal comprises et souvent bâclées rapidement par les secteurs, effrayées par l’ “ étiquette ” de détenu, et ceci in fine au détriment des soins aux personnes.

 

Il n’est plus possible de continuer à passer sous silence que les SMPR n’ont jamais été en mesure d’assurer, dans le cadre des établissements pénitentiaires, des soins en hospitalisation complète.

La grande majorité des psychiatres travaillant en prison estiment que l’on ne peut forcer quelqu’un à se soigner en prison, car cela correspondrait à un doublement de la peine : rajouter une “ peine ” psychiatrique à la peine judiciaire. Mais la double peine ne serait-elle pas plutôt de ne pas donner de soins à quelqu’un qui en nécessite ? En effet, personne ne remet en question la double peine que constitue de fait, la mise en UMD ou en chambre d’isolement dans un service de psychiatrie de secteur, avec soins imposés et pour le moins non satisfaisants !

Sachant que 80% des budgets de la psychiatrie en milieu carcéral vont dans les SMPR, que ceux-ci ne sont que 26 et qu’il y a 187 établissements, il est évident que les moyens ne sont pas donnés pour la prise en charge psychiatrique des détenus en dehors du travail fait par les équipes des SMPR, dont la motivation et l’engagement professionnel sont à souligner.

 

 

 

6.3. Les soins psychiatriques pour détenus dans les Unités pour  Malades Difficiles

 

Les quatre Unités pour Malades Difficiles (UMD), situées dans les CHS et totalisant environ 400 lits, prodiguent des soins spécialisés de qualité  à des détenus malades mentaux, mais ne reçoivent pas que des détenus. Le plus grand nombre d’infirmiers dans ces structures est justifié essentiellement pour des raisons de sécurité et non pas pour mener à bien des projets thérapeutiques.

Y sont également hospitalisés-enfermés des “ malades difficiles ”, ayant bénéficié d’un non-lieu (selon l’article 122-1 du Code Pénal), c’est-à-dire jugés irresponsables mais plus ou moins dangereux.

Y sont hospitalisés-enfermés une majorité de malades issus de secteurs ordinaires, en hospitalisation d’office, sans contrôle judiciaire suffisant, du seul fait qu'ils sont en soins contraints par décision préfectorale et qu'ils ont, par des troubles du comportement, débordé momentanément les capacités contenantes des équipes de ces secteurs.

Dans une unité d’hospitalisation ordinaire la peur de la violence potentielle entraîne souvent l'enfermement préventif, ce dernier étant en lui-même source de violence. Et la boucle est alors bouclée ! Une évaluation fine des situations entraînant les transferts vers les UMD et l'utilisation plus fréquente qu'en font certaines équipes par rapport à d’autres, justifiée parfois d’une visée "punitive", est indispensable.

Il surtout nécessaire qu’un débat entre professionnels ait lieu sur la clinique qui peut s’attacher à la contention et à l’enfermement.

Une réponse doit être apportée à la question posée par les personnes détenues que leur état de santé psychique rend durablement porteuses de troubles violents du comportement et dont les soins ne peuvent être envisagés que dans le temps de la chronicité même de la pathologie.

Mais combien sont ces personnes ? Où sont-elles actuellement? Sont-elles regroupées dans les UMD ou bien sont-elles avec des détenus particulièrement dangereux mais non malades mentaux ? Ces données ne sont pas disponibles. On sait seulement que 10 à 15 % des files actives des UMD sont constituées de détenus. On ne peut oublier certains problèmes rares de patients très malades et très violents pour lesquels des solutions devraient être pensées dans le cadre de la réforme des soins obligatoires que nous proposons et en prenant le temps d’en évaluer toutes les conséquences.

 

6.4. Les soins psychiatriques pour les détenus dans les services d’hospitalisation de    secteur

 

Etant donnée l’évolution des missions et des pratiques des équipes de secteur, il n’est plus possible de continuer à exiger, en se voilant hypocritement la face, que ces équipes de soins assurent en même temps la garde et les soins en structures ouvertes. Alors que dans le même temps les équipes de soins somatiques envisagent la création de services d’hospitalisation en Hôpital Général, où la garde sera confiée aux agents de l’Administration Pénitentiaire ou de la Police.

 

6.5. La question de l’irresponsabilité pénale

 

Par ailleurs le dogme, défendu par certains psychiatres, de l’irresponsabilité pénale des personnes malades mentaux ne peut être un argument suffisant pour refuser de repenser l’organisation de soins adaptés aux personnes détenues présentant des troubles mentaux.

 “ La confrontation à la justice pour l’acte commis et prouvé est chose nécessaire pour lever le déni et contraindre le mis en cause à s’interroger sur son propre fonctionnement ”[7]. Et “ cette antonymie  judiciaire peut provoquer une situation dans laquelle la personne obligée perçoit, malgré sa vulnérabilité pénalement stigmatisée, que n’est pas niée son autonomie, qui substitue à l’obéissance à l’autre, l’obéissance à soi-même ”[8]. A notre avis ce texte, situé dans un ouvrage sur les délinquants sexuels, a une portée générale.

Pour l’irresponsabilité pénale, nous pensons qu’il manque un débat sur le concept de crime. La folie n’étant en aucun cas une cause de non imputabilité de l’acte commis, nous prenons fermement position pour la révision de l’article 122-1 alinéa 1. Nous sommes pour la nécessité du procès, y compris la possibilité d’un temps de soin préalable pour que le sujet et citoyen “ y soit ” dans ce procès. Notons cette contradiction qu’il n’existe pas d’irresponsabilité civile pour les malades mentaux, en droit français, et que ceci n’a jamais soulevé la moindre polémique.

Pour les soins psychiatriques en prison, les mêmes principes de rapprochement avec les soins généraux ainsi que le développement des soins de proximité doivent sous-tendre les modifications indispensables.

La persistance de l’opposition entre les logiques de soin (“ les psychiatres ne sont pas là pour tout calmer ”[9]) et pénale est stérile tant au plan des intérêts de l’individu que de ceux de la société et mérite mieux que des anathèmes. Ceci impose que les acteurs du soin et ceux de la justice dialoguent intensément et sereinement :

§       en respectant les langages et les règles de chacun,

§       en respectant les règles des secrets professionnels de chacun,

§       en partageant des temps de réflexion en commun.

 

 

 

 



[1] Petit Larousse

[2] Dr Benedetto SARACENO, responsable de la division santé mentale à l’OMS-Genève.

[3] Etude de l’Union Régionale des Médecins Libéraux d’Ile-de-France  URMLIF  février 2000

[4] Source DGS.

[5]  On ne doit plus voir, par exemple, ce qu’aux Beaumettes on appelle les “ robinets marseillais ”, c’est-à-dire des cellules aux conditions d’hygiène dégradantes.

[6] Observatoire International des Prisons, 28 septembre 2000

[7] C. Balier, C. Parayre et C. Parpillon (1995),

[8] X. Lameyre (2000), reprenant P. Ricoeur

[9]  Dr Paulet du SMPR des Beaumettes



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Dernière mise à jour : mardi 4 septembre 2001 8:30:51
Dr Jean-Michel Thurin